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garantie d’une clause de révision perpétuelle et absolue, doter la république du maximum d’institutions conservatrices que cette forme de gouvernement peut comporter, et cela sans aucune illusion de leur part, ni sur les chances de succès de la tentative, ni sur la reconnaissance que leur en garderaient les républicains. Mais il ne voulait pas que telle ou telle politique pût s’autoriser de son nom, et encore moins que telle ou telle démarche pût faire supposer chez lui l’intention de tenter une campagne pour son compte. Durant ces deux années, j’eus occasion de le voir familièrement, tantôt à Eu, où il voulait bien ni inviter à faire de fréquens séjours, tantôt à Cannes, où il avait acquis une villa, beaucoup plus rarement à Paris, où il ne s’arrêtait jamais longtemps. Il lisait, étudiait beaucoup, et se plaisait à embellir son domaine d’Eu, auquel il s’était passionnément attaché. Sans doute, il souffrait, comme nous tous, de voir ses plus belles années s’écouler dans l’inaction et l’inutilité. Mais cependant, ce temps fut peut-être le plus heureux de sa vie, car il jouissait à la fois de sa famille, qu’il voyait croître autour de lui, et de son pays, dont l’amour entrait chaque jour plus avant dans son cœur. La maladie, puis la mort de M. le Comte de Chambord, vinrent inopinément troubler cette quiétude.

Je ne sais rien de première main sur les incidens qui signalèrent le double voyage de M. le Comte de Paris, à Frohsdorff, en juillet, puis en août 1883. Dès son retour de ce second voyage, il m’appela à Eu, et me demanda de faire partie d’un petit groupe de personnes sur le dévouement desquelles il pourrait compter, qui se succéderaient autour de lui à tour de rôle, mais dont les attributions n’auraient rien de politique. De là le nom de service d’honneur qui nous fut donné ; et c’était en effet un honneur de servir un prince toujours respectueux de votre dignité, attentif, presque trop attentif à vos convenances, dont la bouche ne proférait jamais une parole désobligeante, et ne s’ouvrait que pour remercier, dont la vie privée était au grand jour, dont la vie publique était un sacrifice quotidien offert à la France. J’ajouterai qu’à l’inverse de ce qui se passe parfois autour des princes, même eu exil, tous les membres du service d’honneur ont toujours vécu dans les termes de la plus parfaite cordialité, et que des situations ou des origines assez différentes n’engendraient entre nous d’autre rivalité que celle du dévouement.

Je viens de dire que la vie publique de M. le Comte de Paris était un sacrifice quotidien offert à la France : voici ce que j’entends par là. On a dit parfois qu’il ne voulait pas régner, comme on l’a dit, au reste, de M. le Comte de Chambord, et c’est là une imputation contre laquelle les serviteurs d’un prince qui n’a pas réussi sont toujours obligés de le défendre. C’est faux.