voient leurs intentions méconnues et dénaturées, leurs intérêts toujours menacés et souvent foulés aux pieds, leur caractère travesti, leur existence même dénoncée à la vindicte ouvrière, on comprend que leur bonne volonté éprouve quelque lassitude et qu’un peu d’amertume leur vienne au cœur. S’ils n’ont pas toujours eu un assez prudent souci de la situation personnelle de quelques politiciens, peut-on leur reprocher de n’avoir pris aucun soin de celle des ouvriers ? Le public ignorait que les verriers de Carmaux étaient les mieux rétribués du monde ; il a été étonné de l’apprendre au moment même où ceux-ci se mettaient en grève. En revanche, il ne l’a pas été de voir que les autres ouvriers, auxquels on demande un prélèvement sur leur maigre salaire pour entretenir les grévistes, se montrent peu empressés à l’opérer. Il attend le dénouement de la grève de Carmaux sans parvenir à s’y intéresser. Dès maintenant les responsabilités sont établies à ses yeux, et les événemens futurs auront de la peine à les déplacer.
Et puis, il y a une question plus haute, qui commence à préoccuper les esprits. L’industrie, la grande industrie est-elle possible, peut-elle se développer ou simplement durer dans les conditions nouvelles qu’on prétend lui imposer en France ? À cette question il faut avoir le courage de répondre que non. Nous sommes partout surveillés, menacés par nos rivaux étrangers ; nous avons à soutenir contre eux une lutte de tous les instans ; la moindre défaillance, parfois même une simple distraction, peut nous fermer un des marchés de l’univers ; aux grandes nations contre lesquelles nous luttions déjà avec peine, d’autres sont venues s’ajouter dont l’esprit d’initiative, l’audace créatrice, l’expansion à travers les continens et les mers, devraient être pour nous un sujet d’inquiétude et presque d’effroi ; — et c’est le moment que nous choisissons pour déchaîner une guerre intestine de patrons et d’ouvriers et pour poser entre eux avec arrogance les revendications extrêmes du socialisme ! Dans les congrès internationaux qui se tiennent chaque année, ou même plusieurs fois par an, nous constatons, avec un peu d’humiliation, la supériorité d’esprit pratique et de bon sens inflexible que les ouvriers étrangers ont sur les nôtres, et aussi la préoccupation intransigeante avec laquelle ils mettent leurs intérêts et celui de leur pays au-dessus de toutes les théories, de tous les systèmes, de toutes les chimères ; — et cette constatation une fois faite, nous voyons nos ouvriers revenir dans leurs ateliers, puis, sous l’inspiration de politiciens qui n’ont de commun avec eux ni les inspirations, ni les aspirations, ni la manière de penser, ni même celle de parler, poursuivre à travers de cruelles épreuves la réalisation de ces rêves dont les autres n’ont point voulu. La sécurité, du moins une certaine dose de sécurité est indispensable à l’industrie comme au commerce ; elle manque de plus en plus. Aussi le capital, cet infâme capital qui est l’objet de tant de colères mêlées d’envie, devient-il timide,