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gré le rôle d’arbitre entre la Compagnie et les ouvriers : il promettait de faire accepter la sentence arbitrale par ces derniers, quelle qu’elle fût. On sait ce qui est arrivé. M. Loubet a donné de très grandes satisfactions aux ouvriers, mais non pas cependant une satisfaction complète, absolue, la même sur tous les points. Autant en a emporté le vent ! Les ouvriers ne se sont même pas donné la peine de déchirer la sentence ; ils n’en ont tenu aucun compte ; ils ont levé les épaules avec dédain et maintenu intégralement leurs revendications. Est-ce un motif pour proclamer l’impuissance de l’arbitrage et pour y renoncer ? Non : il ne faut pas juger une institution sur une première épreuve qui n’a pas réussi. Mais il est des cas où l’arbitrage est en quelque sorte contre-indiqué, et où une compagnie industrielle a le droit, quelquefois le devoir, de ne pas l’accepter. Lorsqu’il s’agit d’une contestation portant par exemple sur les salaires des ouvriers, l’arbitrage est à sa place. La compagnie peut n’avoir pas tenu les engagemens qu’elle a pris : c’est à l’arbitre à le dire. Elle peut même, dans l’état général de ses affaires, et si l’on tient compte de la progression notoire de ses bénéfices, ne pas donner aux ouvriers des salaires suffisans : là encore l’intervention d’un tiers désintéressé et bienveillant est tout à fait en situation. Mais est-ce un de ces cas qui s’est présenté à Carmaux, ou tout autre du même genre ? Point du tout. M. Baudot a été renvoyé pour avoir manqué à la discipline, et violé, en ce qui le concernait personnellement, le contrat de louage conclu par lui avec la Compagnie. Dans ce domaine, celle-ci devait rester maîtresse de ses déterminations. Le jour où une compagnie permettra à un tiers, quel qu’il soit, le plus élevé de tous comme le président du Conseil, ou le plus humble comme un juge de paix, de prononcer à sa place sur une question de discipline entre ses ouvriers et elle, l’industrie française aura reçu une atteinte dont elle aura bien de la peine à se relever.

Pourquoi M. Baudot a-t-il été renvoyé ? C’est, a-t-on dit, parce qu’il avait été nommé conseiller d’arrondissement, et qu’il avait dû quitter l’usine pendant sa campagne électorale. Si ce motif était exact, il appellerait déjà de sérieuses réflexions. Lorsqu’une compagnie fait un contrat de louage avec un ouvrier, et qu’elle promet de lui donner telle somme d’argent contre telle quantité d’heures de travail, est-il loisible à l’ouvrier, pour un motif même respectable, mais qui ne constitue pas un cas de force majeure et où sa volonté reste parfaitement libre de faire ou de ne pas faire, lui est-il permis de manquer à son engagement et d’exiger de la Compagnie qu’elle continue de remplir le sien ? L’admissibilité de tous à tous les emplois est un grand i principe ; cependant, huit citoyens sur dix, si ce n’est plus, sont obligés, par la nature de leurs occupations et les nécessités de leur existence ou de celle de leurs familles, de renoncer à la poursuite et à