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concilier, ouvrant leurs ports, mais refusant aux étrangers le droit d’acquérir une parcelle du sol, adoptant avec un empressement apparent le costume et les idées européennes, mais déposant l’un et répudiant les autres aussitôt qu’ils le pouvaient. L’heure venue de la lutte avec la Chine, ils ont, en quelques coups droits, habilement préparés et dextrement portés, jeté bas leur adversaire, puis, affectant de déférer au désir des grandes puissances et n’ignorant pas qu’ils avaient tout à risquer à prolonger une guerre au cours de laquelle cette masse de 400 millions d’hommes eût fini par avoir raison du Japon, ils ont traité avec la Chine et affirmé une suprématie que la Chine reconnaît et que l’Europe admet.

La thèse de Lafcadio Hearn est à coup sûr nouvelle. D’aucuns n’y verront peut-être qu’un rapprochement ingénieux ; d’autres y trouveront l’explication de faits inexpliqués : les rapides succès du Japon, les coups sûrs et prompts portés par ce David au Goliath asiatique, l’habile souplesse avec laquelle, cédant à propos à la pression combinée de la Russie, de la France et de l’Allemagne, le petit empire du Soleil Levant a eu l’art de se faire pardonner ses succès et de se rallier les sympathies de l’Europe dont il avait déconcerté les calculs.

Par ce qui précède, nos lecteurs pourront se faire une idée de l’œuvre et du talent de Lafcadio Hearn. Cette œuvre variée et ce souple talent méritent une étude plus approfondie. Ses essais sur les Danseuses japonaises, son Journal d’un maître d’école, son Marché des morts, ses Notes sur Kitzuki, abondent en aperçus originaux et curieux sur lesquels nous aurons sans doute l’occasion de revenir.


C. DE VARIGNY.