s’étreignent, plus soucieux apparemment de ménager leurs forces et d’user celles de leur adversaire que de le jeter bas. On voit, non sans surprise, un athlète s’abandonner brusquement dans les bras puissans qui s’efforcent de le soulever de terre et qui défaillent sous son poids, pendant que les spectateurs éclatent en applaudissemens.
Il s’est volontairement alourdi et, dans l’effort fait, son adversaire a inutilement dépensé des forces que lui-même a réservées. Pas un des mouvemens de ces deux hommes qui ne soit le point de mire d’une palpitante et féroce curiosité. Cette lutte, en apparence inoffensive et monotone, ces gestes indécis, à peine ébauchés, ces mains lentes qui se promènent sur ces grands corps mous tour à tour attirés et repoussés, mais sans tension de muscles, sans perceptible effort d’en finir, c’est le Jiujutsu, l’ « art de céder pour l’emporter ». Le temps s’écoule en feintes, en anatomiques études ; le moment décisif approche. L’un des athlètes a cru reconnaître le point faible de son adversaire. S’il ne s’est pas trompé, une brusque, une violente étreinte, une main énorme s’enfonce dans la chair, et d’une habile pression de doigts disloque l’épaule ou brise un tendon et envoie rouler le vaincu tout pantelant dans l’arène. S’il s’est trompé, si dans cet effort puissant mais infructueux il s’est épuisé, sa respiration haletante, son souffle rauque et court indiquent que sous l’étreinte du bras replié de son ennemi la respiration lui manque, que ses côtes craquent sous l’effroyable pression, ou bien une défaillance soudaine révèle que l’un de ses muscles vient de se rompre, ou l’un de ses os de se briser.
Il faut sept années d’études pour former un athlète accompli. Il en est qui connaissent d’infaillibles manipulations, qui tuent un homme par une simple pression de leurs doigts velus, aussi promptement que la foudre. Ceux-là sont professeurs dans les collèges du gouvernement et tenus, par serment et sous les peines les plus sévères, à ne jamais enseigner un coup mortel.
Si nous en croyons maintenant Lafcadio Hearn, le « Jiujutsu » donne la clé de l’histoire du Japon depuis un quart de siècle. Les Japonais ont transporté dans leur politique et leur diplomatie, dans leur armée et leur marine, les procédés du « Jiujutsu » ; ils ont introduit, dans leurs relations extérieures et dans l’art de la guerre, la tactique qui consiste à « céder pour l’emporter », ce qui revient à dire qu’ils ont étudié en anatomistes patiens et savans l’organisation politique et sociale de l’Europe et surtout l’organisation administrative et militaire de la Chine. Ils ont découvert et noté les points faibles du Céleste Empire. Sur ce grand corps mou, ils ont promené leurs doigts souples. Dans leurs rapports avec l’Europe, ils ont, comme au lendemain de la chute de leur régime féodal, toujours paru céder, acceptant les conseils et subissant la pression de ceux qu’ils voulaient se