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résisté à ton le pensée d’émigration comme à une désertion devant l’ennemi, s’est pris tout à coup de la passion opposée : un courant ou, pour mieux dire, un torrent d’émigration s’est déclaré… Il a fallu remonter jusqu’aux traditions bibliques pour trouver un nom à donner à cette fuite populaire, qui n’a d’analogie que dans la grande migration des Israélites. On l’appelle l’exode, comme au temps de Moïse. » L’Irlande n’a plus aujourd’hui que 4 700 000 habitans.

La maladie de la pomme de terre sévit encore partout chaque année, mais avec des intensités variables ; les pertes, considérables dans les années humides, sont moindres ou nulles dans les années sèches ; elles disparaîtront, car aujourd’hui nous connaissons la nature du mal, et nous savons le combattre victorieusement.

Dès le début de la maladie, on chercha à quelles causes il fallait l’attribuer. Au milieu du fatras, des billevesées, des folies[1] qui surgirent dans les cerveaux échauffés par les dangers que courait l’alimentation publique, plusieurs travaux dénotent une rare sagacité. En France, Payen, de l’Académie des sciences, secrétaire perpétuel de la Société nationale d’agriculture, qui jadis a donné à la Revue d’excellens articles, reconnaît tout d’abord qu’ « une végétation cryptogamique toute spéciale, se propageant des tiges aériennes aux tubercules, est l’origine de la maladie. » Payen étudie les plantes attaquées ; il suit sur les coupes qu’il pratique dans les organes malades les filamens du parasite et n’hésite pas à affirmer que les spores du champignon transmises par l’air sont la cause de l’envahissement progressif des cultures.

En même temps Morren, professeur à l’Université de Liège, arrive aux mêmes conclusions : pour lui comme pour Payen, le développement d’un champignon, favorisé par les conditions atmosphériques de 1845, est la cause de la maladie. Morren propose même, pour en éviter le retour, de saupoudrer les terres infectées d’un mélange de chaux, de sel marin et de sulfate de cuivre, remède qui, nous le savons aujourd’hui, appliqué avec suite, aurait exercé l’influence la plus heureuse.

L’opinion des savans resta indécise. Tandis que Payen et Morren attribuaient au cryptogame, dont personne ne niait l’existence, l’origine de la maladie, les autres pensaient que le champignon n’apparaissait que sur les organes déjà malades : sa

  1. J’ai sous les yeux une brochure appartenant à la bibliothèque du Muséum d’histoire naturelle intitulée : Découverte de la véritable cause de la maladie des pommes de terre, etc., par F. Zafpinger, traduite de l’allemand ; Lausanne, 1847, on y lit, page 4 : « Les gaz provenant de l’usage des allumettes phosphoriques qui souillent l’atmosphère, sont la véritable cause de la maladie des pommes de terre ! »