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L’insuffisance des voies de communication, les entraves administratives empêchant la circulation des grains, l’énormité des impôts pesant sur le cultivateur et décourageant les efforts les plus opiniâtres, contribuaient sans doute à engendrer ces misères ; elles paraissaient dues cependant à des causes plus profondes. On commençait à douter que le blé fût à lui seul capable de subvenir aux besoins du pays, et sous l’empire de ces préoccupations générales l’Académie de Besançon mit au concours, en 1771, la question suivante : « Quelles plantes, en France, peuvent, dans les temps de disette, suppléer aux autres nourritures de l’homme, et quelle est la nature de l’aliment qu’on peut tirer de ces végétaux ? »

Plus qu’aucun autre, un pharmacien des armées, Parmentier, s’émut des souffrances de la population ; mais sa pitié ne s’exhala pas en vaines lamentations : elle lui dicta la virile résolution de chercher la cause du mal, pour le combattre et le vaincre.

Parmentier eut tout d’abord la vue nette et précise que l’alimentation publique n’est assurée que si elle repose sur la culture de plusieurs végétaux différens, car il est rare que les conditions atmosphériques soient défavorables à toutes les récoltes, et d’ordinaire l’abondance de l’une compense le déficit des autres.

En 1772, il envoie à l’Académie de Besançon le mémoire dans lequel il préconise la culture de la pomme de terre et commence la longue lutte dans laquelle, sans faiblir, il répondra à toutes les objections, triomphera de toutes les résistances.

Il montre par l’analyse que la pomme de terre ne renferme aucun principe nuisible, puis revient à ses cultures ; chaque année il les répète, et ne distribue que parcimonieusement les tubercules, pour donner le désir d’acquérir une plante qui paraîtra d’autant plus précieuse qu’elle est plus rare.

En 1781, il réimprime son mémoire qu’il intitule : Recherches sur les végétaux qui dans les temps de disette peuvent remplacer les alimens ordinaires. Lentement l’opinion s’émeut. Les railleurs, toujours ennemis des nouveautés, commencent à désarmer ; la culture de la pomme de terre est encouragée ; Louis XVI se pare de ses fleurs ; enfin en 1785 est exécutée la célèbre expérience de la plaine des Sablons : à juste titre, le souvenir s’en est conservé. Dans un terrain bien en vue, Parmentier fait cultiver la pomme de terre ; on multiplie les façons pour attirer l’attention ; quand les tubercules commencent à mûrir, il fait garder le champ par des soldats pour repousser les pillards : la plante est décidément de haute valeur, puisqu’on prend tant de