Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

restée légendaire : « La politique magyare amènera un jour les Cosaques à faire résonner les sabots de leurs chevaux sur le pavé de Vienne. » Il est coutumier, du reste, de ces propos d’enfant terrible, mais d’enfant terrible qui sait ce qu’il veut et où il va. — En novembre 1893, le tsar Alexandre III éprouva les atteintes du mal qui devait l’emporter. On télégraphia successivement à Agram la mauvaise nouvelle, puis un bulletin d’amélioration. Il y avait séance à la Diète et, dans une tribune, le président du parlement de Pesth y assistait. Barcic demande la parole, et, dévisageant le Hongrois : « J’invite mes collègues, dit-il, à manifester la joie que, très certainement, le rétablissement de la santé du Tsar leur cause. N’oublions pas que c’est un de ses ancêtres, Nicolas 1er, qui a sauvé la monarchie, en étouffant la rébellion magyare. »

Barcic est la physionomie la plus brillante et la plus sympathique du parti starervicien. Le docteur Franck en est le modérateur, surtout l’économiste, spécialité rare et d’autant plus appréciée dans son pays. Il faut reconnaître à cette opposition, qui s’intitule radicale et se montre telle sous bien des rapports, qu’elle n’a jamais pris contact, même à distance, avec le socialisme. L’infiltration socialiste s’est produite en Croatie, depuis quelques années, par les ouvriers allemands. Les typographes, comme de juste, se rendirent les premiers aux argumens de Marx et de Lasalle et propagèrent une agitation qui gagna les villes, mais fort peu les campagnes. Il y a quatre ans, au congrès socialiste de Pesth, le prolétariat croate, à la suite d’une réunion publique tenue à Agram, se fit représenter par trois délégués. Ce congrès décida la publication, en Croatie, d’un recueil bimensuel, Sloboda (Liberté), et lui donna probablement, outre l’investiture d’organe officiel du parti socialiste démocratique, les fonds nécessaires à son existence. La Sloboda est mal rédigée. Son aridité et son intransigeance ont Uni par provoquer une scission entre doctrinaires et possibilistes, la typographie, cette fois, s’enrégimentant parmi les seconds. Cet organe est combattu, du reste, avec succès, par une feuille populaire d’Agram, Obrtnik (l’Artisan), que dirige le très distingué secrétaire de la Chambre de commerce, M. Milan Kresic. — Au total, le socialisme ne compte encore, en Croatie, ni comme facteur de la politique, ni comme tremplin de politicien. Ce n’est, du reste, que sous la forme agraire qu’il pourrait devenir dangereux, et, dans les campagnes, il est d’une adaptation très difficile au tempérament national.