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donnée la gloire du Paradis. » Je ne sais pas une autre page de musique où la mort soit ainsi acceptée, où soit ainsi demandé le ciel. Cela est encore plus ravissant, encore plus divin que l’Eia mater de Palestrina. Le retour sur soi-même est ici plus direct et surtout plus douloureux. Pauvre enfant, qui chantait à la fois et l’agonie divine et sa propre agonie ! Quando corpus morietur. En cette strophe finale, quelle poignante douceur ! Les paroles semblent ne prier que vaguement et de loin pour notre corps à tous qui doit mourir un jour ; mais les notes prient, et de quelle immédiate et personnelle prière ! pour un pauvre corps, hélas ! qui va mourir aujourd’hui !

Nous prendrons ici congé de la mélodie italienne. Après l’avoir aperçue ou plutôt soupçonnée sous la polyphonie de Palestrina, nous l’avons vue se dégager et croître, acquérir avec Marcello toute sa force, toute sa grâce avec Pergolese, et donner, pour ainsi dire, en la même saison, des fruits avec des fleurs. Si grands que soient les maîtres qui suivront, ils ne le seront pas plus que le maître des Psaumes et celui du Stabat ; d’un chant de Pergolese, un chant du seul Mozart pourra surpasser la beauté, et Mozart n’est pas Italien, ou ne l’est qu’à demi. Deux fois, à la fin du XVIe et au milieu du XVIIIe siècle, le génie musical italien a réalisé l’idéal. Il a porté jusqu’à la perfection deux formes de l’art : la polyphonie vocale et la mélodie. Une troisième forme va naître, qui ne naîtra point italienne. Plus de dix années avant la mort des Pergolese et des Marcello, elle s’élaborait sur le clavier de Sébastien Bach[1]. Ce n’est encore que la fugue ; mais vienne seulement Haydn, ce sera la symphonie, et par la symphonie une fois encore la musique sera renouvelée.


CAMILLE BELLAIGE.

  1. La première partie du Clavecin bien tempéré date de 1722.