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ne saurait être négligée. Les oscillations du change ont beau, depuis quelque temps, être de plus en plus faibles, rien ne nous garantira définitivement contre le retour d’événemens semblables à ceux auxquels nous avons assisté, avant que la circulation métallique soit rétablie.

C’est alors que nos industriels n’hésiteront pas à faire en masse ce que quelques-uns d’entre eux ont déjà commencé, c’est-à-dire à venir installer en Russie une partie de leur outillage et à mettre leur expérience au service de ce pays jeune, où tant d’horizons s’ouvrent à l’esprit d’entreprise. Sur ce territoire immense et relativement si peu peuplé, il y a place, pendant des siècles à venir, pour de nouvelles colonisations. Les Russes ont trop le sentiment de la grandeur de leurs ressources, et aussi de la force indestructible de leur esprit national, pour redouter cette invasion pacifique, qui ne fera que hâter l’épanouissement de leur civilisation : ils doivent donc rechercher tous les moyens d’attirer à eux les fermens précieux d’activité qui leur viendront du dehors.

Ce n’est pas dans un esprit de critique stérile que nous avons tenu à mettre en lumière le point vulnérable des finances russes. Elles méritent tant d’éloges sous d’autres rapports, que nous sommes impatiens de les voir dégagées de cet élément de faiblesse et d’incertitude, dont la disparition achèverait de mettre le crédit moscovite au premier rang. Mais alors que dans différentes directions nous trouvons que les progrès sont constans, nous ne pouvons nous empêcher de contempler avec un sentiment d’inquiétude la voie de protection philanthropique où il semble qu’on veuille engager la Banque de Russie. Tous les efforts devraient tendre au contraire à mobiliser son actif, à diminuer le découvert du Trésor, à fortifier l’encaisse, à développer le portefeuille commercial, de façon à hâter le jour où sera promulgué l’oukase annonçant que le papier-monnaie a vécu et que le rouble-crédit n’est plus qu’un billet de banque échangeable contre une pièce d’or. Ce sera le couronnement de l’œuvre de restauration financière entreprise en 1888, poursuivie avec tant de succès par Alexandre III et Nicolas II, et dont la France a aidé et suivi le développement avec un intérêt sur lequel il est inutile d’insister.


RAPHAËL-GEORGES LEVY.