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principalement de l’occupation de Kassala, et il s’en félicite. M. le baron Blanc ne doute pas que les progrès ultérieurs de l’Italie ne produisent le même effet. « Lorsque la région esclavagiste du Choa sera, dit-il, complètement isolée, nous pourrons y laisser le désordre se tuer de lui-même, de même que le mahdisme tombe en dissolution dans le Soudan, sans qu’il soit nécessaire de faire agir les troupes italiennes de Kassala ou les troupes anglaises de Wadi-Halfa et de Souakim. » Tant il est vrai que le tout est d’occuper les bonnes positions.

En attendant de nouveaux succès en Afrique, le gouvernement italien en a obtenu d’immédiats devant le parlement, à Montecitorio. Dans la situation où nous sommes, et qui nous permet de juger avec une parfaite impartialité ce qui se passe en Italie, nous constatons que M. Crispi a eu, au cours de cette session de quelques semaines, tout l’avantage sur ses adversaires. Il a pris la parole à diverses reprises, toujours opportunément, et avec un instinct remarquable de ce qui pouvait agir avec le plus de force sur l’esprit de ses compatriotes. Il a parlé des soucis et des misères du pouvoir avec mélancolie : ce n’est que par le sentiment élevé du devoir qu’il a accepté d’en subir plus longtemps « les amères déceptions ». Il a remercié la Chambre d’avoir repoussé les débats stériles, ou du moins de les avoir ajournés jusqu’après le budget. On pouvait se demander si celui-ci serait voté ; tout semblait conspirer contre lui, même la chaleur extrême qui rendait l’enceinte législative presque inhabitable ; cependant l’énergie du ministère et le dévouement de la Chambre sont venus à bout de tous les obstacles. Le budget a été voté comme il avait été présenté. C’est une grande victoire pour M. Sonnino ; c’en est une aussi pour M. Crispi. Il en a obtenu une autre, non moins importante, en faisant repousser, à la suite de la discussion des affaires étrangères, les ordres du jour de MM. Pandolfi et Imbriani. Le premier exprimait le vœu que le gouvernement eût toujours en vue, dans sa politique étrangère, le triomphe de la justice internationale et l’union des peuples civilisés. Pour bien comprendre ce que cela veut dire, il faut être au courant du jargon parlementaire de nos voisins : l’ordre du jour de M. Pandolfi est un ordre du jour irrédentiste, et c’est bien ainsi que M. Crispi l’a entendu puisqu’il l’a repoussé dans l’intérêt de la paix, de cette paix qui est tous les jours garantie et sauvée par la triple alliance, mais qu’il ne faudrait pourtant pas mettre à de trop fortes épreuves. « L’ordre du jour proposé, a-t-il déclaré, n’est pas opportun. Si réellement on devait pourvoir à la reconstitution des États sur la base exclusive de la nationalité, il se produirait de très graves complications et la guerre éclaterait dans toute l’Europe. » Ce langage est plein de sagesse. Ce n’est pas celui que M. Crispi a toujours tenu, ni même celui qu’il tenait, il n’y a pas longtemps encore, aux peuples frères des Balkans, mais il n’en est pas moins bon. L’Autriche peut se rassurer : on ne lui récla-