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Et debout, un instant, auprès de l’eau bordée
D’iris et de glaïeuls et de plantes flexibles,
Je me tiendrai, pareille aux nymphes invisibles
Qui hantent la forêt ou, sirènes, la mer ;
Alors je descendrai rose dans le flot clair
Avec sa grande ride en cercle autour de moi.


M. de Régnier a ce don de l’expression imagée et chantante où on reconnaît le poète. Il a commencé par subir la discipline parnassienne, et il s’en souvient jusque dans son dernier recueil, où telle vision antique fait songera quelque pastiche de Ronsard. Il a fréquenté chez Leconte de Lisle et chez M. de Heredia avant de prendre M. Mallarmé pour maître et pour émule M. Vielé-Griffin ; c’est chez lui qu’on (voit le mieux la fusion des traditions d’hier avec les plus récentes influences. Dans ses derniers livres : Tel qu’en songe, Contes à soi-même, Aréthuse, se précise son idéal personnel d’une mélancolie très noble. Il a une imagination somptueuse et une âme triste. Et derrière le décor de ces poèmes aux lignes harmonieuses et larges, où des héros et des dames, des chevaliers et des pèlerins errent parmi des forêts merveilleuses, traversent des villes de rêve, heurtent à des châteaux emblématiques, il semble qu’on entende l’accompagnement d’un invisible orchestre wagnérien. — On ne saurait non plus négliger M. Francis Vielé-Griffin. C’est lui qui est considéré dans son groupe comme le plus hardiment novateur et c’est à lui que revient la plus grande part d’influence. Aussi, quand on ouvre sans méfiance ses petits livres : les Cygnes, la Chevauchée Yeldis, Πάλαι (Palai), est-on d’abord tout à fait déconcerté. Tout de suite on perd pied. Toutes nos habitudes intellectuelles nous rendent inaccessible cette poésie qui ne se rattache à aucune tradition française. Cet Américain transplanté en Touraine n’a pas du tout la même façon que nous de lier ses idées. Ou plutôt, idées, souvenirs, émotions, impressions, ce dont il se soucie le moins c’est de les relier ; il les laisse se succéder au hasard ou peut-être au gré d’on ne sait quelles associations très subtiles et qui échappent. On essaie d’abord de comprendre, ce qui, pour nous autres Français de France, est toujours la première démarche de notre esprit, jusqu’à ce qu’on ait compris qu’il n’y a rien à comprendre et qu’il faut plutôt se laisser bercer par une mélodie qui n’est pas sans charme. Ce sont des choses incohérentes et douces. M. Vielé-Griffin a plus de tendresse que de force, une imagination plus délicate qu’éclatante et son expression est souvent voisine de la prose. Son âme vague flotte à tous les mirages, se dissout à toutes les brises. C’est le chuchottis des feuilles


Entre les peupliers mirés
Au grand ruisseau de Loire étale.


Un nouveau venu, M. Albert Samain, a donné l’autre année sous ce titre : Au jardin de l’infante, un volume de vers tout plein de l’influence