Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/941

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE LITTÉRAIRE

LA POETIQUE NOUVELLE

Il est bien difficile de parler des jeunes poètes sans un peu de mauvaise humeur. Depuis tantôt quinze ans qu’ils occupent la scène, ils semblent avoir pris à tâche de lasser la patience et d’énerver l’attenté. Par de belles promesses et par un air d’assurance, ils ont éveillé la curiosité ; ils la tiennent encore en suspens. Rien de plus séduisant que leurs intentions, rien de plus décevant que leurs œuvres. Sans doute si jusqu’à présent ils n’ont réussi qu’à demi dans leur tentative, ce n’est pas leur faute et il faudrait plutôt les en plaindre. Mais ils ont une attitude de défi. Ils sont prétentieux au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. Ils ont le dégoût de la simplicité et l’horreur du bon sens. Ils abondent en paradoxes dont on souhaite qu’ils ne soient pas dupes. Ils sont hérissés et abscons. Le moindre d’entre eux trouve tout naturel que pour aller à la conquête de son maigre rêve nous fassions autant d’efforts que pour forcer la pensée de Goethe ou démêler le symbolisme de Dante. S’il nous semble, après l’épreuve faite, que nous sommes mal récompensés de notre peine, qu’il y a disproportion entre l’effort et le résultat, et que, comme on dit, nous sommes volés, ils nous répondent qu’il faut donc nous en prendre à nous-mêmes, attendu qu’ils ne nous ont pas priés de les lire et qu’ils ont fait serment de n’écrire que pour eux. Bien sûr nous ne les en croyons pas ; nous savons de reste ce que valent ces sermens de littérateurs. Mais pourquoi aller au-devant de ces hommes si peu hospitaliers ? pourquoi leur témoigner une bonne volonté qu’ils accueillent de si mauvaise grâce ? et puisqu’ils se montrent si jaloux de leur solitude, pourquoi ne pas les y laisser se complaire — ou se morfondre ?

J’ai dû traduire cette impression, d’abord pour être tout à fait