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entr’actes à la vieille mode allemande, — que nos wagnériens s’imaginent, bien à tort, être seulement à la mode de Bayreuth, — rien de tout cela n’empêche l’exécution des oratorios de Hændel de n’avoir plus maintenant qu’une durée d’à peine trois heures au bout desquelles chacun s’en va les oreilles tout imprégnées de musique, sans l’ombre d’ennui ni de lassitude, mais plutôt avec un regret d’avoir vu s’évanouir si vite un si magnifique univers d’émotion et de poésie.


Ainsi durant près d’un demi-siècle, dans l’étude et le recueillement, M. Chrysander a préparé ces exécutions modèles des oratorios de son maître bien-aimé. Encore ne serait-il point parvenu à les réaliser de sitôt sans le précieux concours d’un jeune homme, M. Fritz Volbach, qui partagera désormais avec lui la gloire d’avoir ranimé en Allemagne le culte de Hændel. Est-ce Hændel qui a conduit M. Volbach aux théories de M. Chrysander, ou bien sont-ce les théories de M. Chrysander qui l’ont amené à s’occuper de Hændel ? Il s’en est occupé, du moins, avec une touchante et active sollicitude, et c’est à ses efforts que sont dues, surtout, les fêtes admirables où nous venons d’assister. Il s’est constitué, en quelque sorte, le chevalier servant de Hændel. Non content de diriger l’exécution de ses oratorios, il est devenu, par amour pour lui, journaliste, pamphlétaire, et conférencier. Dans toute l’Allemagne et dans toute l’Europe il a recueilli des souscriptions pour ces fêtes de Mayence : il a intéressé à l’entreprise le grand-duc de Hesse, et l’impératrice Frédéric, il y a intéressé toutes les sociétés musicales de Mayence, de Darmstadt et des villes voisines, qui se sont réunies, sous sa direction, pour former un merveilleux ensemble instrumental et choral. Et l’on m’a raconté que c’est pour le devancer, — et pour arriver le premier, cette fois encore comme toujours, — que l’empereur d’Allemagne a fait exécuter à Berlin, il y a trois mois, le Messie de Hændel, remanié suivant les méthodes de M. Chrysander. Mais on m’a dit que l’exécution de Berlin, faute d’une préparation suffisante, avait très médiocrement réussi, tandis que les fêtes de Mayence ont été un véritable triomphe, et vont placer d’emblée M. Volbach au premier rang des chefs d’orchestre d’Allemagne. Un souffle véritablement hœndelien a pénétré, grâce à lui, l’orchestre, les solistes et les chœurs : et c’est encore à mes vieux souvenirs de Bayreuth que je dois remonter pour retrouver une semblable impression de profonde unité artistique. Aussi ne m’étendrai-je point sur le mérite des chanteurs, dont les noms, d’ailleurs, ne sauraient rien apprendre au lecteur français. Les uns venaient d’Autriche, d’autres de Hollande, il y en avait même un qui venait de Londres, et qui chantait en anglais : mais tous obéissaient, avec une soumission exemplaire, à la direction de M. Volbach, et c’est en vérité un assez bel éloge pour me dispenser de tout autre.