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de suite le même morceau de la même façon ; et ce qu’il écrivait n’était sans doute qu’un lointain écho de la musique surnaturelle qui, nuit et jour, jaillissait en lui. Mais d’autant plus il est aujourd’hui difficile à un musicien, si savant qu’il soit, de compléter des textes qui, d’ailleurs, n’ont pas besoin de ce complément pour nous consoler de la vie. Et j’avoue que les additions de M. Reinecke, en particulier, me paraissent pour la plupart absolument inutiles.

Tandis qu’il me semble au contraire que M. Chrysander a eu raison tout à fait de vouloir compléter Hændel : car celui-là n’a certainement pas noté ses airs tels exactement qu’il les faisait chanter ; et certainement les détails qu’il n’a point notés sont de ceux qu’avec un peu d’étude on doit pouvoir rétablir. On sait en effet que tous les oratorios de Hændel sont des œuvres de circonstance, écrites le plus souvent en quelques jours, et destinées à être chantées dans telles ou telles conditions spéciales. A chacune des exécutions nouvelles d’Hercule, par exemple, Hændel remaniait la partition qu’il en avait faite d’abord : suivant la science des chanteurs et la force de leur voix, il ajoutait ou retranchait des airs à leurs parties, et dans les airs eux-mêmes il ne se faisait pas faute de simplifier ou de compliquer. Et l’on sait, en outre, qu’à des prétentions qu’ils ont fidèlement conservées aujourd’hui, les chanteurs joignaient autrefois une variété de connaissances qui remplirait d’épouvante les plus savans chanteurs d’à présent. Le moindre d’entre eux était tenu de savoir varier un air de vingt façons différentes, d’improviser à chaque fois de nouvelles cadences, en un mot de tenir vraiment le texte écrit pour un simple canevas, et de collaborer avec le musicien pour tous les détails accessoires.

Et non seulement nous pouvons être assurés que les airs de Hændel n’étaient point chantés tels qu’ils étaient écrits, mais, par une bonne fortune admirable, nous savons encore de quelle façon ils étaient chantés. On a conservé, en effet, un air de Hændel que celui-ci l’avait lui-même annoté pour une chanteuse, marquant tout le détail des nuances, des variations, des vocalises, des cadences, qu’il entendait que l’interprète adjoignît à son texte. C’est sur ce précieux document que s’est appuyé le docteur Chrysander, et sur tous les traités de chant des maîtres italiens de Hændel, Granacci, Zacconi et les autres, pour restituer à ces vieux airs la variété et l’éclat que le cours du temps leur avait enlevés. Et à en juger par les deux oratorios que je viens d’entendre à Mayence, Debora et Hercule, c’est là une partie de sa tâche où il a pleinement réussi. Les ornemens qu’il a introduits dans les airs de Hændel n’ôtent rien à cette prodigieuse pureté de contours qui est, à mon avis, leur principale beauté : la phrase se déroule toujours harmonieuse et claire, sous des variations, destinées seulement à maintenir toujours fraîches l’expression et la couleur. Et lorsque, à la fin des airs, dans le silence de l’orchestre, le chanteur roucoule une cadence avant