Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/907

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

libre-échangistes, en partisans chaque jour plus nombreux et plus bruyans du bimétallisme et du protectionnisme.


II

Les agriculteurs des deux mondes ont eu un moment d’espoir il y a deux mois : le prix du blé s’élevait, avec celui de plusieurs autres grandes denrées. C’est d’Amérique que venait l’impulsion. En février le quintal de blé valait 10 et 11 francs à Chicago et à New-York. Il s’est élevé très rapidement à 14 fr. 50 et 15 francs. Ces prix ne se sont pas maintenus, le niveau actuel (fin juillet) est 13 fr. 25 et 14 francs. En Angleterre le prix de 20 shillings le quarter (290 litres), prix de ruine, a fait place en quelques semaines à celui de 30 shillings, qui n’a pu être conservé longtemps il est vrai, mais sur lequel il n’y a eu qu’une réaction de 3 ou 4 shillings. La spéculation aux États-Unis avait fait monter les prix des céréales pour relever les cours des actions des chemins de fer qui les transportent, comme elle a fait monter les cours du cuivre et ceux du pétrole, pour relever ceux des actions des entreprises cuprifères ou pétrolières. La hausse a été moins forte en France, où de 17 francs le quintal, le prix le plus avili qui ait été atteint durant la crise pour le froment, l’amélioration n’a pu dépasser 3 francs. Durant deux mois les cours ont oscillé entre 19 fr. 50 et 20 fr. 50. Depuis juin les prix se sont de nouveau avilis à 19 fr. 50. Malgré le fret et le droit protecteur de 7 francs, il n’existe donc en ce moment qu’un écart de 5 à 6 francs entre le prix courant à Paris et la cote de New-York.

Diverses explications ont été données de ces velléités de hausse des prix du froment ; la plus plausible est l’espérance d’une diminution dans la production. En France il y a une légère réduction dans la superficie des emblavures, le même fait est signalé de divers pays. La récolte dans le monde entier ne promet point d’être aussi abondante qu’elle a été dans les deux dernières années. La France, la Russie, l’Autriche-Hongrie, la Roumanie, les États-Unis, ont produit en 1894, ensemble, près de 500 millions d’hectolitres de blé. Une diminution de 10 pour 100, soit de 50 millions d’hectolitres, produirait un effet considérable sur tous les marchés de céréales. Il ne semble pas qu’en France on ait eu propension, au moins jusqu’à ces dernières semaines, qui ont été détestables, à trop se plaindre pour la quantité ni pour la qualité. Chez nos voisins d’outre-Manche, au contraire, les deux derniers mois ont à peu près ruiné les espérances brillantes que les quatre premiers avaient fait concevoir. A côté de districts privilégiés qui ont reçu la quantité de pluie nécessaire, d’autres ont été grillés