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vigoureuses données à un homme endormi, car « tout effort, disait-il, vaut mieux que l’apathie. » Il sondait toutes les avenues, fouillait tous les petits coins, soulevait à la fois toutes les questions de théorie et de métier. Jusqu’à quel point est-il sain d’imiter Shakspeare ? La censure est-elle plus favorable aux mœurs qu’elle n’est oppressive pour le talent ? L’établissement d’un théâtre national, qui servirait d’école et d’étalon, est-il possible et contribuerait-il au perfectionnement de l’art ? Que faut-il penser du paradoxe de Diderot sur le jeu de l’acteur, et qu’en pensent les acteurs eux-mêmes ? Quelle a été, dans le passé, la situation sociale des artistes et que sera-t-elle dans l’avenir ? Seront-ils respectés à cause de leur profession, comme le juge, le clergyman, l’officier, ou malgré cette profession ? Quels sont les droits et les devoirs de la critique ? Quels sont les dangers et les avantages de la combinaison qui met presque toutes les grandes scènes aux mains d’acteurs-directeurs ? L’auteur anglais doit-il accepter la collaboration de l’acteur-directeur, et jusqu’à quel point ? Voilà quelques-unes des questions qu’il a traitées et résolues avec une compétence que nul ne conteste, une franchise, une abondance, une souplesse et un brio qu’on ne peut s’empêcher d’admirer, même quand on est d’avis un peu différent.

Ce n’est pas tout. La partie la plus importante, peut-être, du rôle joué par M. Archer, a consisté dans ses travaux sur les littératures dramatiques étrangères. Il a, l’un des premiers, fait connaître les Norvégiens et les Allemands ; mieux que personne, il a fait comprendre les œuvres de nos dramaturges et le parti qu’il y avait à en tirer pour l’éducation du théâtre anglais. De l’influence exercée par Ibsen et Björnson, par Sudermann et ses compatriotes sur la génération d’aujourd’hui et de demain j’aurai à parler bientôt. J’indiquerai ici seulement la forme nouvelle prise par l’adaptation des œuvres françaises depuis 1875 ou 1880 ; mouvement curieux dont M. Archer n’est assurément pas l’unique auteur, mais dont il a été le témoin très attentif et très pénétrant et auquel ses conseils ont donné comme un caractère de scientifique précision.

La façon dont les Anglais, il y a un demi-siècle, imitaient nos pièces ressemblait, un peu à la manière hâtive dont une bande de voleurs dévalise une maison trop riche. On fait ce qu’on peut, mais on a peu de temps et on manque de méthode. La conséquence est qu’on emporte des bibelots sans valeur et qu’on néglige des bijoux de prix. Lorsque les directeurs de Londres accouraient en poste pour se disputer un manuscrit et se jouaient mille tours en route pour se devancer les uns les autres, c’était quelquefois le moyen de faire plus tôt faillite qu’ils mettaient ainsi aux