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jamais éprouvées et dont nous ne pouvons contrôler l’exactitude, le critique anglais croit fermement à l’existence d’un sens intime qui repousse ou accepte la peinture d’un monde inconnu. Si M. Zola nous décrit les mœurs financières du second Empire, si Pierre Loti nous transporte auprès de Rarahu ou de Chrysanthème, un instinct infaillible nous avertit, si nous sommes trompés ou instruits, si c’est de la fantaisie ou de l’histoire.

Ce caractère réaliste, M. Archer le refusait à la comédie de Robertson ; ou si elle l’avait possédé, elle l’avait très vite perdu. A force de verser de l’eau chaude dans la fameuse théière, on n’offrait plus au public qu’un breuvage insipide dont on essayait vainement de corriger la fadeur en le faisant alterner avec l’amertume du « café » français, escorté de l’inévitable « cognac ». « Notre théâtre, avait écrit Matthew Arnold, est suspendu entre le ciel et la terre ; il n’est ni réaliste ni idéaliste, il n’est que fantaisiste. » M. Archer acceptait l’idée de Matthew Arnold et, de là, poussait plus loin son raisonnement. Outre la peinture des mœurs et des caractères, le drame nous offre une action à juger, et c’est là que le critique avait des vérités toutes nouvelles à dire à ses compatriotes. Le théâtre anglais se croyait très moral : le critique lui enlevait cette illusion. Il n’était pas loin d’admettre comme parfaitement fondé le mot de M. Got qui donnait à notre scène la préférence au point de vue de la moralité ; ou plutôt il était d’avis que le théâtre des Français a une mauvaise morale et que le théâtre des Anglais n’a point de morale du tout. Ce qui rend une pièce morale, est-ce le coup de théâtre final qui foudroie le traître et récompense la vertu, ce triomphe du bien qui se perd dans un remue-ménage de paletots endossés et de petits bancs renversés ? Non : une pièce est morale si elle développe une situation psychologique donnée, un problème de conduite auquel elle impose ou plutôt suggère une solution juste. Or, M. Archer ne voyait point de drame écrit sur ce modèle en 1880 : rien que de fades marivaudages, un tout petit coin de la vie, et, pour unique problème, l’antagonisme de la pauvreté et de la richesse, éternellement nivelés par l’amour.

Il voulait voir planer au-dessus de toute œuvre dramatique l’aspiration vers le bien ou vers le mieux, vers un mode de vie supérieur à la vie ordinaire et qui sera peut-être la vie de demain. Il voulait que le théâtre eût un idéal, non un idéal rétrospectif et pour ainsi dire réactionnaire, comme il arrive en un pays de tradition où l’on ne croit jamais si bien réformer que quand on restaure, mais un idéal de marche, si j’ose dire, un idéal d’avenir et de progrès.

Ses articles étaient comme des secousses répétées et