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bienfaits qu’ils en ont reçus. Lorsqu’il a prophétisé la dissolution prochaine et universelle du lien conjugal, elle lui répond, avec simplicité, mais non sans émotion ni sans grâce : « Moi, j’avais eu le rêve d’une pure et parfaite union où l’homme et la femme, l’un plus fort, l’autre plus faible, mais pourtant semblables, marcheraient ensemble, la main dans la main, à travers cette vallée de pleurs jusqu’à la tombe, qui est au fond, et s’endormiraient ensemble dans cette nuit, bientôt passée comme un moment, pour se réveiller toujours ensemble dans la lumière ou dans la gloire et ne se plus quitter jamais, jamais ! » Et quand Harold arrache, pour la lui offrir, une branche de pommier fleurie, cette fille de fermier regarde avec tristesse le rameau dévasté : « L’an prochain, il n’y aura pas de fruits. » C’est là un touchant symbolisme, et c’est bien ainsi qu’on aime à voir un poète réfuter la morale de la sensation qui, en cueillant les fleurs, empêche les fruits de naître et détruit jusqu’aux germes de l’avenir.

De tels détails éclairaient la pensée de Tennyson et auraient dû obtenir sa grâce auprès des siffleurs, mais ils ne voulurent pas entendre raison. Ces malentendus ne sont possibles qu’avec une pièce qui ne se défend pas elle-même. Or, par malheur, the Promise of May est une de celles-là. On y retrouve quelques traces de ces dons idylliques qui rendent si doux les petits poèmes de la jeunesse de Tennyson, avec l’intelligence des âmes rustiques qui ne l’abandonna jamais et l’éloquence amère, la veine de satire morale et sociale qui coule à Hots dans la seconde partie de Locksley Hall, Sixty years after. Mais, lorsqu’il faut en venir à l’action, le poète est déplorablement faible, enfantin, presque niais. Ce Harold, posé au début comme le type du nihiliste que rien n’émeut ni n’effraye, tombe finalement à un tel désarroi et à de si piteux balbutiemens qu’on en a honte pour lui. Si Tennyson a voulu nous faire entrevoir le mariage de ce triste séducteur avec la sœur de sa victime comme une satisfaction donnée à la morale, il s’est lourdement trompé, et le peu qui restait de la pièce s’évanouit avec ce dénouement répulsif.

Le succès relatif de la Coupe, au Lyceum, m’étonne moins que M. Archer. Je n’en chercherai pas la cause principale dans la grâce d’Ellen Terry ou dans le magnifique décor du temple de Diane. The Cup a certaines qualités qui sont faites pour plaire à la moyenne du public. Le sujet est tiré des récits de Plutarque Sur les femmes illustres, et d’un passage qui avait déjà induit en tragédie un Français, un Allemand et un Italien. Peut-être, sans en avoir une conscience nette, Tennyson a-t-il pris quelque chose du ton de son auteur primitif et de l’allure de ses devanciers. Il a été, cette fois, moins Anglais, moins shakspearien et moins