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aussi, son unique moyen d’assurer sa subsistance est un admirable faucon qu’il a dressé lui-même pour la chasse. Un matin, Monna Giovanna lui rend visite à l’improviste et, ignorant le dénûment de son voisin, s’invite sans façon à déjeuner. Federigo, dont la basse-cour est vide, fait tuer son oiseau favori pour le servir à la dame. Or c’est précisément le faucon qu’elle venait lui demander pour satisfaire à la fantaisie d’un enfant malade. Force est à Federigo d’avouer le sacrifice que l’hospitalité et l’amour lui ont inspiré, et Monna Giovanna en est si touchée qu’elle tombe, et pour jamais, dans ses bras.

Lorsque le Faucon fut présenté au public, en 1879, au Saint-James, John Hare, qui est un directeur plein de goût en même temps qu’un comédien excellent, l’avait monté avec respect, avec amour, l’avait entouré d’une mise en scène poétiquement réaliste. Federigo et Monna Giovanna, c’étaient les Kendal, et ceux qui ont vu Madge Robertson dans ce rôle, s’en souviennent comme on se souvient d’une toile de maître, rencontrée dans les musées d’Allemagne ou d’Italie. Au point de vue plastique, elle a donné, en créant Giovanna, un pendant à sa Galatée. Mais ni le charme du décor, ni la perfection du jeu, ni la musique des vers ne pouvaient assurer une longue vie à la pièce. A peine se figure-t-on quelques centaines de spectateurs choisis savourant cette chose légère, délice d’une heure, enthousiasme, d’une soirée. Dès le lendemain, le cockneyisme devait reprendre possession de la salle et redemander ses plaisirs ordinaires. La critique fit cause commune avec les cockneys, mais pour une raison moins étrangère à l’art. Elle remarqua que, s’il y a un sujet dans le Faucon, c’est, apparemment, le sacrifice de Federigo. Or ce sujet, si mince qu’il soit, n’est pas traité. Deux mots d’aparté avec son domestique, un ordre à voix basse, voilà tout ce qui amène et justifie la condamnation de l’oiseau. Encore plus décevant que le déjeuner offert à Monna Giovanna. le menu présenté par lord Tennyson à ses spectateurs ne se composait que de hors-d’œuvre délicats, et c’était trop peu pour ces robustes appétits.

The Promise of May a eu un sort pire que the Falcon. La pièce est tombée très franchement. Une certaine partie du public, — avec le fameux marquis de Queensberry à sa tête, — a feint de croire que le poète parlait par la bouche de son héros, lorsqu’il dénonce, avec tant d’amertume et dans un pêle-mêle inquiétant, les principes et les préjugés sur lesquels est bâtie la société. Ces spectateurs manquaient vraiment d’intelligence et de patience. La contre-partie ne manque pas aux théories négatives de Harold. Lorsqu’il a déclamé sur le mal que les religions ont fait aux hommes, Dora lui montre (un peu faiblement, il est vrai) les