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à la Banque de numéraire. Le gouvernement acceptait l’argent ou l’or dans la proportion d’un poids d’or pour 15,45 poids d’argent. La pièce d’un rouble-argent contenait 18 grammes d’argent fin, soit autant que 4 francs français. L’ensemble du métal déposé par le gouvernement et les particuliers pour répondre du prompt et constant remboursement des billets fut versé au fonds d’échange.

Le rapport entre les deux métaux précieux n’avait cessé de varier en Russie : au début du XVIIIe siècle, il était de 1 d’or pour 13,87 d’argent ; en 1718, de 1 pour 12,963 ; en 1755, de 1 pour 13,648 ; en 1757, de 1 pour 14,101 ; puis sous le règne de Paul Ier, il s’élève brusquement à 1 pour 17,924, puis s’établit pendant la première moitié du XIXe siècle à 1 pour 15, jusqu’à ce que la réforme de Cancrine le fixe à 1 pour 15,45, soit, à une fraction insignifiante près, le quinze et demi français décrété par notre loi de germinal. Mais si le législateur russe avait fini par se rapprocher de cette proportion, que les bimétallistes considèrent comme l’arche sainte de leur théorie, on voit par combien d’étapes différentes il avait passé.

Vers le milieu du siècle, la Russie se trouvait donc en possession d’un système monétaire à peu près semblable au nôtre : des billets remboursables en or ou en argent, au choix de la Banque de Russie, c’est-à-dire du gouvernement ; des monnaies des deux types frappées régulièrement, grâce en partie aux mines d’or que le pays possède et dont l’extraction n’a cessé d’augmenter : car aujourd’hui encore la Russie avec ses 150 millions de francs (42 767 kilogrammes en 1894) figure au quatrième rang des producteurs d’or dans le monde, après le Transvaal, les États-Unis et l’Australie. Cette époque de 1840 à 1850 fut l’apogée des finances russes ; elles prospérèrent au point qu’en 1847, lors de la mauvaise récolte qui força la France à importer des quantités considérables de blés de la Mer-Noire, — source presque unique à cette époque de nos approvisionnemens de céréales au dehors, — le ministère des finances de Saint-Pétersbourg employa plus de cent millions de francs à des achats de fonds d’État étrangers, parmi lesquels cinquante millions de rentes françaises cinq pour cent au cours de 115 3/4. La Banque de France, qui négocia cette vente, évita ainsi une exportation de numéraire qu’elle redoutait fort à ce moment. Les rôles étaient l’inverse de ce qu’ils sont devenus depuis : c’était, pour une courte période, la Russie qui se constituait notre créancière.

Mais les guerres de Hongrie et de Crimée ne tardèrent pas à modifier cette situation brillante. L’émission des billets augmenta