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départ, s’était résignée à sa solitude. Elle avait enduré les infirmités, la maladie, avec cet esprit d’abnégation dont pendant toute sa vie elle devait donner tant de preuves. Quand, enfin, vaincue par les souffrances, elle s’était décidée à rappeler Pierre-Paul, il était trop tard, et, malgré la hâte que celui-ci mil à revenir, elle était morte à son arrivée.

On peut imaginer ce qu’avait été la douleur de ce fils. Pendant longtemps il était demeuré tout à son chagrin dans la petite maison où sa mère avait fini ses jours. L’ordre, la simplicité, la stricte économie qui régnaient dans cette pauvre demeure, tout lui rappelait cette bonne mère. C’est pour consacrer d’une manière touchante le souvenir de son affection et de sa reconnaissance qu’après l’avoir retouchée, il plaçait au-dessus de sa tombe, la meilleure des peintures faites par lui en Italie, le Saint Ambroise (du musée de Grenoble), où, pour la première fois, sa pleine originalité s’était épanouie.

Mais, plus encore que par cet hommage respectueux des prémices de son talent, Rubens devait honorer sa mère par sa propre vie. Ce dévouement aux siens, ce bon sens si lumineux, cette activité courageuse, cette aménité envers tous, ce naturel parfait, ce stoïcisme dans la souffrance, tout ce que la personne et le caractère pouvaient ajouter de grâce à son génie, c’est aux exemples de sa mère qu’il le devait. Mais, avec ces qualités qu’il aimait en elle et qui justifiaient assez sa tendresse, il y avait tout un passé d’épreuves et de généreuses immolations qu’il ne pouvait pas soupçonner. Le soin même avec lequel elle s’attachait à en effacer la trace aurait achevé de grandir à ses yeux cette noble figure. Son fils la savait excellente, et elle était héroïque. Aujourd’hui, en dépit des obscurités accumulées de parti pris par Maria Rubens sur ces années d’exil et de cruels tourmens, la vérité s’est fait jour. Il n’est que juste qu’un peu de la gloire acquise à son nom par le grand artiste lui revienne. Elle avait tant été pour lui à la peine ; c’est bien le moins qu’elle soit avec lui à l’honneur.


EMILE MICHEL.