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dans leur domicile de Siegen qui conserverait leur mobilier. Nous ignorons quelle réponse fut faite à cette requête ; mais il est peu probable qu’elle ait été favorablement accueillie, car on voyait avec défiance ces tentatives faites par l’interné pour élargir un peu le cercle où il était enserré. Les archives nous laissent ensuite sans nouvelles de la petite famille jusque vers la fin de 1575. A partir de celle date, les documens qui la concernent nous la montrent exposée à des dénonciations et des tourmens continuels dont le détail assez monotone n’offrirait pas grand intérêt à nos lecteurs. Mais ces inquiétudes et ces amertumes incessamment renouvelées ne font que plus vivement ressortir le courage et le dévouement opiniâtre de Maria Pypelincx. Au milieu des épreuves les plus cruelles, elle ne perd ni le sentiment de sa dignité, ni l’espoir. Forte de sa seule faiblesse et de son amour, elle résiste de son mieux à des ennemis tout-puissans. Dans ses lettres où l’on retrouve toujours le même sens pratique et le même tact, on est étonné parfois de rencontrer des digressions imprévues, semées de citations littéraires laborieusement amenées ou de textes juridiques qui contrastent avec la simplicité habituelle de celle qui tient la plume. C’est évidemment maître Rubens qui lui souffle ces belles choses que, par déférence pour lui, elle écrit sous sa dictée et, comme le dit M. Bakhuyzen[1], « le bout du bonnet doctoral perce à travers les élans sincères de son amour conjugal. » Quant aux Nassau, il faut bien convenir que les vexations incessantes auxquelles ils se livrent à l’égard de ce ménage exposé à leurs coups, ne les font point paraître sous un jour bien honorable. On comprend, au lendemain de l’injure qui leur a été faite, le souvenir cuisant qu’ils en gardent et le désir de vengeance qui les anime. Mais avec le temps, ces dispositions font place à des sentimens moins naturels et moins avouables. Leur trésor s’épuisait et, de plus en plus, leur gêne était grande, les frais de la guerre absorbant, et au-delà, toutes leurs ressources. Ils avaient vendu les objets précieux qu’ils possédaient, converti en monnaie leur vaisselle et engagé une grande partie de leurs domaines[2]. Pour faire face à ces embarras financiers, ils en étaient venus à exploiter la situation des Rubens et à tirer d’eux le plus d’argent possible. Réels ou imaginaires, les griefs qu’ils invoquent contre eux se traduisent à chaque instant par de nouvelles exigences

  1. Les Rubens à Siegen, p. 12.
  2. Cet état de gêne devait durer longtemps encore, car, en 1586, le comte Jean de Nassau était obligé de vendre pour 3 000 florins à son beau-fils le comte de Nassau-Sarrebruck des tapisseries de prix représentant des épisodes empruntés à l’histoire de sa famille.