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Diafoirus. Ni la captivité, ni les souffrances n’avaient pu, on le voit, affranchir le docteur de cette recherche du bel esprit et de ce tour subtil des « paroles agencées » qui sévissait alors, il faut le reconnaître, parmi les lettrés, en France aussi bien que dans les Pays-Bas. Combien avec son sens si net et sa sensibilité si vraie, le langage sans artifice de Maria Pypelincx eût été moins laborieux et plus éloquent !


III

La vie commune avait recommencé, humble et cachée comme il convenait à la situation du ménage et à l’obligation où il était de ne pas attirer sur lui l’attention. Jean Rubens s’était fait envoyer ses livres de droit ; il surveillait l’éducation de ses enfans et cherchait à s’occuper de son mieux. Mais, avec l’existence forcément solitaire à laquelle il était condamné, il ne fallait pas compter que son travail pût aider à l’entretien de la petite famille. Dans les premiers momens il n’avait pas trop senti la contrainte de la quasi réclusion dans laquelle il s’était lui-même engagé à vivre. Au prix des misères passées, cette demi-liberté était un bienfait. Comme sa femme, du reste, il était souvent obsédé par l’idée que ses jours étaient menacés et qu’on voulait lui tendre quelque piège pour l’enlever. Des avis, venus de Cologne ou de Heidelberg et que le comte leur avait communiqués, les entretenaient dans cette crainte. Peu à peu, cependant, ils avaient repris confiance, et comme cette vie claquemurée, sans offrir pour lui plus de sécurité, était contraire à sa santé, Rubens sollicitait, au mois d’août 1573, la grâce de se promener quelquefois hors de la ville en compagnie du précepteur des enfans du comte, maître Adrien Dammant, avec lequel il pouvait du moins s’entretenir des sujets qui l’intéressaient. Mais c’étaient là des bonnes fortunes bien rares et qui allaient bientôt exciter les soupçons.

Le 27 avril 1574, une joie en même temps qu’une charge nouvelle étaient survenues aux deux époux. Un fils leur était né qui fut nommé Philippe et qui, pendant sa trop courte vie, devait toujours rester le frère bien-aimé de Pierre-Paul, le grand artiste. La même année, sous la menace d’une épidémie qui régnait aux environs, Jean Rubens, inquiet pour sa famille, adressait au comte une nouvelle supplique (26 septembre), afin de pouvoir, en cas de nécessité, se réfugier avec les siens à Cologne, où une partie de la maison occupée par leur cousin Rémond serait à leur disposition. Ils y vivraient secrètement, en ménage, sans sortir, toujours prêts d’ailleurs, dès la première sommation, à revenir