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se propose de louer à Siegen et qui appartient au bailli de Dietz. Rubens écrit plusieurs fois à ce sujet au comte Jean pour obtenir au plus tôt la réponse de ce bailli, car en attendant, sa femme est obligée de demeurer à l’auberge dans des conditions très onéreuses. Elle voudrait aussi pouvoir caser son petit mobilier et profiter du printemps pour semer quelques plantes destinées à leur nourriture, ainsi qu’elle a déjà fait « dans une pièce de champ qu’elle a louée près des murailles, pour y ensemencer toutes sortes de bonnes herbes qu’elle a fait venir des Pays-Bas. » Au cas où cette maison, située à l’écart et peu en vue, ne serait pas disponible, il prie le comte de leur en indiquer quelque autre dans un quartier à sa convenance, « où il pourrait bientôt tenir compaignie à sa femme, soulager sa solitude, enseigner ses enfans, être avec ses livres et passer ce mois de mai, qu’y est propre, à se faire guérir des grandes indispositions que la mélancolie de 26 mois lui a engendrées. » Le jour de la Pentecôte étant proche, il espère que le comte « voudra bénignement luy faire entendre son bon plaisir et le pleinement consoler pour ce temps que les chrétiens célèbrent la mémoire du vray consolateur, le Saint Esprit. »

Sa requête fut exaucée, et le 10 mai, de bon matin, Jean Rubens partit à cheval de Dillenburg pour être enfin, en ce jour de Pentecôte, réuni à l’épouse dévouée qui, par ses infatigables démarches, avait obtenu sa liberté. Ce que fut pour elle ce moment depuis si longtemps attendu, il est facile de le penser, et avec la noble simplicité de son langage elle aurait dû, en quelques mots partis du cœur, exprimer les sentimens dont son âme était remplie. Malheureusement c’est son mari qui tient la plume dans la lettre de remerciemens qu’il adresse au comte ce jour même. La première phrase, que nous transcrivons ici sera plus que suffisante pour en indiquer le ton : « Très Illustres Seigneurs, il est impossible que je puisse assez remercier Vos Excellences et Seigneuries pour la très grande et rare grâce que je reçoys par votre pitié et clémence, n’étant nulle de toutes les espèces d’actions de grâces dont l’homme se peut envers les hommes valoir, relevante et recevable en mon endroit ; car tant s’en faut-il que par paroles agencées et éloquence humaine l’on y puisse donner lustre, que même mon cœur ne peut comprendre le moyen par lequel la dévotion qu’il a pour le témoigner soit connu et (pour n’avoir des fenêtres par lesquelles le désir qu’il a pour s’y acquitter peut être vu) ce subside manque aussi… » Et la lettre continue, soutenant jusqu’au bout les promesses d’un tel début, dans ce galimatias qui rappelle un peu trop les complimens amphigouriques mis par Molière sur les lèvres de Thomas