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devait le plus lui coûter. Les enfans d’Anne de Saxe lui avaient été repris ; mais celle-ci lui avait encore laissé en dépôt ses bijoux, ses sceaux, sa correspondance ; elle s’adresse franchement à elle pour la prier d’intercéder en sa faveur près du comte Jean de Nassau, auquel était remise la garde de Jean Rubens, le château de Dillenburg se trouvant sur son domaine. Elle charge également un sien cousin, Rémond Ringolt, qui lui a témoigné une grande bonté dans son malheur, de remettre au comte une supplique « écrite sans art ni habileté », où elle s’efforçait de l’apitoyer sur sa situation.

Cependant les jours se passent et l’espoir qu’au début on lui avait laissé concevoir d’une prompte libération ne se réalise pas. Sans se rebuter, pensant qu’elle pourra elle-même plaider sa cause d’une manière plus efficace, elle se rend alors à Siegen, et par un billet adressé au comte Jean, le 24 avril, elle lui demande une audience. Mais il n’est pas davantage fait droit à sa demande. Désolée, car depuis trois semaines elle était sans nouvelles de son mari, craignant qu’il soit malade ou qu’on le traite avec plus de rigueur, elle se décide à partir pour Dillenburg, A peine arrivée, elle sollicite la grâce de voir le prisonnier et de lui parler. Celui-ci, informé de la venue de sa femme, joint ses prières aux siennes, faisant observer respectueusement au comte « qu’un exemple tant rare, l’ayant si grièvement offensée, mérite bien un peu de pitié. » Dans une autre lettre il revient à la charge. « J’ay mérité tous mes maux, dit-il, mais elle est innocente ; » et il supplie qu’elle puisse l’entretenir un moment, ne serait-ce que l’espace d’une minute et en présence de tel qu’il plairait au comte de désigner, afin qu’elle sache « ce qu’elle doit répondre à ceux qui tâchent à savoir la cause de la détention. Et s’il est encore impossible de lui accorder cette grâce, que pour le moins elle puisse venir par dehors les murailles et qu’il la puisse voir par la petite fenêtre. » Le comte resta sourd aux supplications des deux époux et, sur son ordre, Rubens dut même écrire à sa femme de ne pas insister davantage, cette insistance devenant importune et sa présence pouvant prêter à de fâcheux commentaires. Il fallut bien se résigner et retourner à Cologne pour y reprendre une vie misérable et désolée.

Les deux époux n’avaient d’autre ressource pour communiquer entre eux qu’une correspondance soumise, bien entendu, à l’examen du comte de Nassau. Quelques-unes des lettres qu’ils échangeaient ainsi nous ont été conservées. Le ton de tristesse qui y règne n’est que trop naturel ; mais tous deux cherchaient dans les livres saints les seules consolations qu’ils pussent s’offrir pour supporter l’épreuve commune. C’est ainsi que Jean Rubens