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II

Le secret avait été bien gardé, et l’on conçoit les inquiétudes de Marie Pypelincx, qui non seulement ne voyait pas revenir son mari, mais demeurait sans nouvelles de lui pendant trois semaines. Après avoir écrit plusieurs fois à la princesse, étonnée de ne pas recevoir de réponse, elle se décidait à envoyer deux messagers pour essayer d’apprendre la vérité. Tout à coup, le 1er avril, arrivait enfin une lettre dans laquelle le prisonnier lui annonçait à la fois sa faute et son arrestation, et, dans les termes les plus humbles, lui demandait pardon de tous ses torts envers elle. Il n’est que trop facile de comprendre l’émotion de la malheureuse épouse qui, avec l’écroulement de son bonheur, pressentait déjà le triste avenir qui l’attendait, elle et les siens. Mais refoulant dans son cœur les sentimens que devait éveiller en elle la double trahison dont elle était victime, elle ne voulut songer qu’à la situation lamentable de son mari et aux dangers qui le menaçaient. Sa résolution est aussitôt prise. Avec toute l’abnégation et toute l’énergie dont elle est capable, elle se dévouera pour l’arracher à la mort, pour le défendre contre le ressentiment de ceux qui le tiennent entre leurs mains. Afin qu’il ne s’abandonne pas lui-même, elle commence par le réconforter ; elle lui accorde son pardon absolu et, avec une générosité admirable, elle ne veut même plus qu’il parle de ses torts.

Le sentiment qui l’inspire est si élevé, les termes qu’elle emploie sont si touchans et d’une charité si parfaitement chrétienne que nous ne saurions mieux faire que de lui laisser à elle-même la parole. « Comment pourrais-je, dit-elle, pousser la rigueur au point de vous affliger encore quand vous êtes dans de si grandes peines que je donnerais ma vie pour vous en tirer ? Lors même qu’une longue affection n’aurait pas précédé ces malheurs, devrais-je vous montrer tant de haine que je ne puisse vous pardonner une faute envers moi, faute petite en comparaison des erreurs où je tombe tous les jours et qui me font implorer la clémence céleste avec cette condition : pardonnez-moi mes offenses comme je pardonne à ceux qui m’ont offensée ! Soyez donc assuré que je vous ai complètement pardonné ; et plut au ciel que votre délivrance fut à ce prix, elle viendrait nous rendre le bonheur. Hélas ! ce n’est pas ce qu’annonce votre lettre. A peine pouvais-je la lire tant il me semblait que mon cœur allait se briser ! Je suis tellement troublée que je ne sais ce que j’écris. S’il n’y a plus de pitié en ce monde, à qui irai-je m’adresser ? J’implorerai le ciel avec des larmes et des gémissemens infinis et j’espère que Dieu