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à la cour de Bruxelles. Dans cet écrit très volumineux, auquel Jean Rubens avait collaboré, ils s’appliquaient de leur mieux à s’excuser et à montrer les efforts qu’ils avaient faits pour s’opposer à la propagation de l’hérésie. Mais, de son côté, le duc d’Albe, ajoutant ses cruautés propres à l’exécution des ordres qu’il avait reçus de la Couronne, inaugurait, par la création du Tribunal de Sang, une ère d’épouvantables persécutions. Il répondait au soulèvement des provinces du Nord, confédérées pour défendre leur indépendance, par la décapitation des comtes d’Egmont et de Hoorn sur la grande place de Bruxelles, le 5 juin 1568, et le 20 septembre suivant il faisait exécuter à Vilvorde le bourgmestre d’Anvers, Antoine van Straalen.

Un libelle qui circulait à ce moment accusait plusieurs autres magistrats d’avoir pactisé avec les révoltés. Jean Rubens y était spécialement dénoncé. Averti par plusieurs de ses amis bien placés pour être exactement renseignés, il prit le parti de quitter sans bruit le pays vers la fin de 1568. Il n’était que temps, car bientôt après, sur une liste de proscription dressée par le duc d’Albe, il figurait « comme s’étant déjà retiré à Cologne avec sa femme, ses enfans et toute sa maison. » En homme avisé, tout en protestant de son orthodoxie, Rubens s’était fait délivrer, par ses collègues du Magistrat d’Anvers, un certificat constatant « que dans l’exercice de ses fonctions d’échevin, il s’était toujours conduit de la façon la plus honorable et qu’il avait droit à un bon accueil partout où il se présenterait. » Muni de cette attestation, il se rendait à Cologne et il adressait à la municipalité ; de cette ville une requête afin d’être autorisé à s’y établir pour suivre des procès pendans et diverses affaires personnelles, ajoutant qu’il « avait quitté son pays, où il s’était toujours comporté avec honneur, non comme banni et fugitif, sans qu’on puisse le suspecter d’aucun acte illicite ou malhonnête. »

Entre toutes les villes qui recueillaient alors les réfugiés des Pays-Bas, Cologne était une de celles qui devaient en attirer le plus grand nombre. Son importance, la tranquillité dont on y jouissait, les ressources qu’elle pouvait offrir à Rubens pour l’éducation de ses jeunes enfans et pour l’exercice de sa profession avaient fixé son choix. Il fit donc venir d’Anvers son mobilier et s’installa dans une grande maison de la Weinstrasse, située entre cour et jardin. Mais si, en s’expatriant, il avait pu se dérober à la prison ou aux supplices, sa position ne restait pas moins assez difficile. Les biens des émigrés ayant été mis sous séquestre, il lui fallait, dans ce milieu nouveau, gagner de quoi subvenir à l’entretien de sa famille, sans qu’il trouvât beaucoup d’occasions d’utiliser son savoir. D’autre part, le Magistrat de