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de déchirer et de dévorer l’intérêt le plus général. Si le département est, en France, moins artificiel que l’arrondissement ou la circonscription, s’il est plus près de la nature, plus près de la géographie et de l’histoire, s’il est plus vivant, le scrutin de liste s’adapte mieux à la vie nationale et vaut mieux que le scrutin d’arrondissement.

Pour que le scrutin uninominal eût le principal avantage qu’on fait valoir en sa faveur, à savoir que le candidat y peut être connu de tous les électeurs, il faudrait des circonscriptions bien plus petites que l’arrondissement ou la section de 100 000 habitans. Mais l’avantage disparaîtrait et serait accablé tout de suite sous les inconvéniens : augmentation de la quantité, déjà trop grande, des sièges à la Chambre ; diminution de la qualité, déjà trop défectueuse, du personnel parlementaire ; rétrécissement, amincissement des intérêts, déjà trop menus et trop courts ; prime à la richesse, déjà trop privilégiée dans les luttes électorales ; capitulation et remise du suffrage aux comités, déjà trop puissans et trop audacieux.

L’idéal serait d’unir les avantages éprouvés du scrutin de liste et les avantages éprouvés du scrutin d’arrondissement, en bannissant les inconvéniens de l’un et de l’autre ; de faire des circonscriptions à la fois larges et étroites : assez étroites pour que le candidat soit connu de ses électeurs et représente des intérêts précis ; assez larges pour qu’il ne représente que des intérêts généraux et ne soit ni un parvenu de l’argent, ni un domestique des comités, ni une créature de l’administration ; puisque, plus la circonscription s’étend, moins l’argent et les comités et l’administration, quoi qu’on en dise, peuvent être les maîtres du suffrage. Il est chimérique d’y penser, tant que la circonscription n’a que cette base unique du territoire ou de la population, tant que le suffrage universel demeurera inorganique ; mais l’idéal, on y toucherait, si le suffrage universel était organisé ; si l’on classait les hommes, les électeurs, et suivant le lieu qu’ils occupent géographiquement, et suivant la place qu’ils occupent socialement ; si la circonscription avait cette double base, et, en quelque manière, si elle était double. La querelle serait alors vidée entre les deux scrutins classiques. Une conciliation interviendrait qui, par la fusion de leurs avantages et l’élimination de leurs inconvéniens, tournerait grandement au profit de l’État et des citoyens, au profit de tous et de chacun. Sans doute cela n’est qu’un rêve, avec le suffrage universel inorganique, d’avoir tout ensemble ce qu’il y a de bon dans le scrutin de liste et ce qu’il y a de bon dans le scrutin d’arrondissement ; ce rêve, pourtant, serait aisément réalisable, et se réaliserait de lui-même, dès que