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la sagesse. Elle est femme et n’aime que les guerriers. » Au milieu de ces bouffées d’orgueil, de belles pensées brillent çà et là comme des sentences d’or au-dessus de portes de marbre :

« De tout ce qu’on écrit, je n’aime que ce qu’un homme écrit avec son sang. Écris avec ton sang, et tu sauras que le sang est de l’esprit. — Jadis, l’esprit était dieu, puis il devint homme ; maintenant, il se fait populace. — La rosée tombe sur le gazon au plus profond silence de la nuit. Ce sont les paroles chuchotées en silence qui amènent la tempête. Les pensées qui gouvernent le monde s’en viennent à pas de colombes. » L’État moderne est assez malmené. « Ce sont des créateurs qui ont créé les peuples. Ils ont suspendu sur leur tête une foi et un amour, ainsi ils ont servi la vie. Maintenant, des destructeurs tendent des pièges en grand nombre et appellent ces pièges l’État. Ils suspendent sur sa tête une épée et mille appétits. » Dans ses diatribes acerbes, Zarathoustra manie le fouet de la satire avec la violence d’un Juvénal, et c’est là qu’il déploie sa vraie force. Voici, par exemple, un croquis des ambitieux, politiciens, spéculateurs et journalistes : « Voyez ces superflus ! Ils volent les œuvres des inventeurs et les trésors des sages ; ils appellent leur vol culture, mais tout chez eux devient maladie et malaise. Voyez ces superflus, ils sont toujours malades. Ils vomissent leur fiel et l’appellent un journal. Ils se dévorent les uns les autres et ne peuvent pas se digérer. Voyez ces superflus ! Ils acquièrent des richesses et n’en deviennent que plus pauvres. Ils veulent le pouvoir et d’abord le brise-glace du pouvoir : beaucoup d’argent, ces impuissans ! Voyez-les grimper, ces singes agiles ! Ils grimpent par-dessus les autres et se tiraillent si bien qu’ils retombent tous dans la fange des bas-fonds. »

Si impitoyable que soit Zarathoustra pour les imitateurs de tout genre, qu’il range dans la catégorie des cabotins et acrobates, il n’hésite pas à emprunter plusieurs idées à Schopenhauer, notamment celle sur la femme et sur l’amour. Aussi peu que le « philosophe bourru » croit-il à l’idéalisme, à l’intuition, au sens divinatoire de la femme, même supérieure, dans l’ordre spirituel, à ce « quelque chose de divin » que lui attribuaient les Germains selon Tacite. « La femme est avant tout un chat et un oiseau, au meilleur cas, une nourrice. » Il juge comme un suprême ridicule et comme le déshonneur du genre mâle la mission sociale que la femme s’est donnée en Amérique et qu’elle commence à revendiquer en Europe. Bien moins encore consentirait-il à voir en elle la compagne intellectuelle de l’homme, la confidente de son idéal et l’âme de sa volonté. « Tout dans la femme est énigme, et tout a une solution qui s’appelle mater-