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son tour un toast au procureur général du saint-synode. Au cours de son allocution, il a rappelé que la Bulgarie avait transmis à la Russie la foi orthodoxe, la civilisation et l’art de la lecture et de l’écriture, et que, de son côté, la Russie avait donné à la Bulgarie l’indépendance et la liberté. « Les Bulgares, a-t-il ajouté, ont beaucoup péché contre la Russie, mais l’amour de la Russie envers eux est resté le même. » Quelles paroles ! Si M. Stamboulof a eu le temps d’en recueillir l’écho à Sofia, on peut juger, à l’emportement de son âme, de la colère qu’il en a ressentie ; mais presque en même temps, comme par une fatalité qui faisait disparaître l’homme avec sa politique, le malheureux était mis en pièces dans une rue de Sofia. Ce drame sinistre, en révoltant la conscience humaine dans le monde entier, donnait l’essor aux sentimens secrets qui avaient peine à se contenir dans certains pays, et leur permettait de s’exprimer en termes violens. On s’explique maintenant les accusations indignes qui ont été lancées de le prince Ferdinand et M. Stoïlof. Est-ce bien la seule horreur du crime qui s’exhalait dans ces imprécations passionnées ? N’était-ce pas aussi la déception causée par une politique destinée, si elle se poursuit, à rendre la Bulgarie indépendante non seulement de la Russie, mais de la Triple Alliance ? Lorsqu’on sommait le prince Ferdinand d’abdiquer au profit de son fils, s’agissait-il de venger M. Stamboulof de l’homme le plus innocent de sa mort, ou plutôt de profiter de la faiblesse d’une longue régence pour faire de la Bulgarie un champ ouvert à toutes les intrigues ? Il suffit de poser ces questions.

Quant à la Bulgarie, le meilleur gage qu’elle puisse donner en ce moment de sa correction envers l’Europe, le plus sûr moyen pour elle de mériter confiance et sympathie, est d’arrêter résolument la propagande anarchique et révolutionnaire qui se fait sur son territoire, faut-il dire au profit de la Macédoine ? La Macédoine n’a aucun profit à tirer de cette agitation intempestive. Ceux qui la fomentent ont eu l’esprit frappé par les événemens qui se sont, il y a quelques mois, passés en Arménie et qui ont amené une intervention amicale de plusieurs puissances auprès de la Porte. Mais d’abord les révoltes partielles qui ont éclaté en Arménie n’avaient pas été provoquées du dehors, et la Porte ne pouvait pas en attribuer l’initiative à l’ambition brouillonne d’un autre pays ; de plus, la répression paraît avoir été, non pas énergique, mais sanguinaire ; enfin, pourquoi ne pas l’avouer ? il est beaucoup plus facile de limiter et de localiser les conséquences des affaires arméniennes qu’il ne le serait, en pleine Europe et sur cet échiquier si compliqué des Balkans, de rester maître des développemens que prendrait la question de Macédoine si elle venait par malheur à se poser aujourd’hui. La Bulgarie assumerait donc une lourde responsabilité si, soit par une connivence secrète, soit simplement par négligence, elle permettait à des comités semi-bulgares et semi-