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lequel nous sommes d’accord. Acceptons provisoirement les définitions que notre auteur emprunte à Mme de Staël. Il ne prétend rien découvrir, mais il a beaucoup exhumé ; de quelques remarques éparses chez ceux qui l’avaient précédé, il a fait un système fortement coordonné et tout un chapitre qui manquait dans les histoires de notre littérature. Il ne sera plus permis de parler du XVIIIe siècle sans se référer à ce livre substantiel, également informé sur la France et sur l’Angleterre, aussi recommandable par le savoir de l’érudit que par l’intelligence du critique.

Une heureuse fortune a servi M. Texte. Il voulait traiter un point d’histoire ; il y rencontre un débat réveillé par nos contemporains. Les controverses anciennes qu’il résume, elles retentissent à nos oreilles avec les mêmes argumens de part et d’autre ; son ouvrage en est tout réchauffé ; si bien qu’à la soutenance de la thèse, en Sorbonne, l’audacieux se vit admonesté. Des voix officielles, ou qui le furent, défendirent contre lui l’intégrité du génie français, qui n’a jamais été violée, comme l’on sait, et les intérêts de la librairie française, commis à la vigilance des censeurs de la République. On croyait entendre Voltaire lui-même, au temps où il s’effrayait devant des curiosités qu’il n’avait plus.

Divertissons-nous à retrouver dans les témoignages recueillis par M. Texte la terreur instinctive des bonnes d’enfans, quand elles voient leur petit bonhomme grandir, courir et déchirer ses lisières. Nous constaterons en passant de quel poids ce prodigieux Jean-Jacques pèse sur tout notre établissement intellectuel. Nous chercherons enfin si les diverses révolutions dont il fut l’excitateur ne seraient pas les effets d’une cause historique plus lointaine et plus générale encore que celles dont on se contente d’habitude.


I

La conquête de la France par l’Angleterre au dernier siècle, tel pourrait être le titre de l’ouvrage qui nous occupe. M. Texte suit pas à pas l’envahisseur et retrace les phases successives de l’annexion. Aux beaux temps de Louis XIV, on n’imagine même pas qu’il y ait un foyer d’art et de pensée chez « ce peuple enragé, quoique stupide et septentrional », ainsi que le qualifie le jésuite Coulon. Les séditieux ameutés par un Cromwell contre la majesté royale n’inspirent d’autre sentiment que l’horreur. Quand le Grand Roi a la curiosité de s’enquérir des écrivains et des savans qui pourraient exister en Angleterre, son ambassadeur Comminges lui parle vaguement « d’un nommé Miltonius, qui