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sympathies paraissent bien plutôt acquises aux Allemands qu’à leurs congénères tchèques, ruthènes, slovènes et dalmates. Par contre, les Allemands sont eux-mêmes fort-divisés ; et s’il y en a beaucoup, à Vienne et ailleurs, qui rêvent de la grande Allemagne, il en est aussi qui ont conscience d’être avant tout Autrichiens. Les cléricaux du Tyrol et les antisémites seraient, le cas échéant, un appoint tout trouvé pour assurer la majorité aux Tchèques et à leurs alliés. Des combinaisons ont déjà été tentées et des coalitions peuvent se former ou sont même déjà formées à l’heure actuelle. Si les Tchèques sont assez politiques pour rester unis et ne pas commettre de fautes, ils auront, sous peu, une partie sérieuse à engager, et qui sait ce qui peut en sortir ?

L’intérêt bien entendu de la monarchie ne serait-il pas, d’ailleurs, de les soutenir ? L’hégémonie allemande et hongroise, résultant du système du dualisme, est pour elle un danger permanent. L’élément allemand n’a que trop de tendance à chercher son point d’appui à l’étranger, et la fidélité des Magyars ne résisterait peut-être pas à une épreuve sérieuse. Les nationalités slaves, au contraire, sont, par la force même des choses, les soutiens de l’Autriche sans laquelle elles ne peuvent subsister, et qui, sans elles, n’aurait plus cette raison d’être qui faisait dire à Palacky que si elle n’existait pas il faudrait l’inventer. Le jour où l’empereur laissera seulement entrevoir aux Tchèques qu’il est prêt à entrer dans la voie des concessions, le sentiment de reconnaissance et d’attachement pour sa personne fera explosion dans tous les pays de la couronne de saint Venceslas. Beaucoup d’entre eux ne sont pas éloignés de croire que cette attitude est possible ou même prochaine. Le réseau de questions nationales et internationales qui enveloppe toute l’Autriche y rend les solutions particulièrement lentes et difficiles, et exige du monarque une prudence et une dextérité singulières. Ne serait-il pas prématuré de perdre patience, et ceux qui ont raison ne seraient-ils pas ceux qui espèrent ?

En terminant son recueil de poésies allégoriques : les Chants de l’esclave, qui a fait sensation à Prague, cette année même, et qui a donné quelque alarme à la police, le poète Svatopluk Çech, qui a malheureusement le tort de mêler la cause socialiste aux revendications nationales, semble entrevoir l’aurore de temps nouveaux : « Je sais qu’elle brillera, cette aurore, et que ce n’est pas une pure illusion de mes rêves et de mes souhaits ardens. Pour moi, il ne me sera pas donné de secouer le joug de mon vieux front… des mains d’esclaves jetteront sur mes chaînes, dans la tombe, des poignées d’argile ; mais vous, ô chers jeunes gens,