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de l’effort séculaire qu’elle a fait pour se reprendre et se reconstituer serait tous les jours remis en question. Nous autres, dont l’unité et l’indépendance remontent plus haut que celles de tous les autres peuples, nous avons peine à nous figurer ce qu’elles représentent. Pour s’en rendre compte, il suffit de comparer la Bohème à la Hongrie, Prague à Budapest. Les progrès accomplis par la Hongrie, depuis trente ans, tiennent presque du merveilleux. Les finances ont été restaurées, l’industrie encouragée, l’agriculture a pris un développement énorme, la capitale a quadruplé, le réseau des chemins de fer s’est accru de nouvelles lignes d’importance européenne, le travail législatif a été poussé avec énergie ; à dix ans de distance, les changemens accomplis frappent l’observateur le plus superficiel. La Bohême, qui ne dispose ni de sa législation, ni de ses finances, ni de ses voies ferrées, ni de ses écoles, qui alimente par ses impôts le budget autrichien, ne peut pas se permettre de semblables visées. Ce sont les moyens d’action qui lui manquent. Ce sont eux qu’elle demande à une organisation politique où ses droits seront reconnus et respectés.

Quelle espérance lui est exactement permise ? Le terrain est brûlant, et on comprendra que nous nous tenions ici dans des généralités. La dislocation de la coalition, l’effondrement du parti libéral allemand, la démission de M. de Plener, sont d’hier, et peut-être tous ces événemens marquent-ils un tournant dans la politique autrichienne. Quoi qu’il en soit, une des questions qui ont contribué à la chute du ministère, celle de la réforme électorale, est de celles qu’on n’évite plus quand elles ont été une fois mises à l’ordre du jour ; et cette question est capitale pour les Tchèques. Ira-t-on jusqu’au suffrage universel, comme le proposait le comte Taffe ? C’est assez improbable ; mais alors même que la réforme s’arrêterait à moitié chemin, les Slaves en général, et les Tchèques en particulier ne peuvent qu’en tirer des avantages signalés. Par toute l’Autriche, à l’heure actuelle, la législation électorale est combinée de telle sorte que la majorité des habitans est en minorité dans la Diète locale aussi bien qu’au Reichsrath ; et cette injustice tourne constamment au détriment des Slaves et au profit des Allemands, voire des Italiens. Si le suffrage universel existait en Cisleithanie, et s’il était sincèrement appliqué, la majorité des députés au Reichsrath de Vienne serait slave.

L’extrême enchevêtrement des nationalités et des partis politiques complique, il est vrai, singulièrement la question. Parmi les Slaves, les Polonais forment un groupe à part, dont les