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sérieusement question, il y a quinze ans, pour leur donner salis-faction, de couper la Bohème en deux, et de séparer le pays allemand du pays tchèque, ce qui aurait été la négation de tous les traités et la violation du droit la plus ouverte. A vrai dire, les Allemands de Bohême sont des descendans d’immigrés qui n’ont jamais cessé de se rattacher à leur patrie d’origine. Les vrais et les seuls Bohémiens, ce sont les Tchèques.

Par malheur, les Allemands comptent parmi eux à peu près toute la noblesse. C’est là un avantage capital, dans un pays où la noblesse a encore des privilèges politiques considérables et une fortune territoriale immense. La noblesse de Bohême possède environ le cinquième du territoire. Une influence de cette importance, employée au service de la cause nationale, en aurait vraisemblablement déterminé le succès. C’est ce qui est arrivé en Hongrie, où la noblesse, restée magyare, a toujours marché à la tête du mouvement national. Mais la noblesse de Bohême a péri presque tout entière lors des sanglantes exécutions qui ont suivi le désastre de la Montagne-Blanche. On peut voir à Prague, malgré les remaniemens que le monument a subis, la place de l’échafaud de 1621, où le gouvernement autrichien infligea à la Bohême vaincue une blessure qu’elle ressent encore. La noblesse allemande implantée dans le pays, et enrichie des dépouilles de l’ancienne, lui est restée étrangère. Ce qui restait de la noblesse tchèque, ou, comme on dit, de la noblesse historique, s’est à moitié germanisé, et, sauf rares exceptions, ses membres n’ont pas su inspirer confiance à la nation qui les accuse de ne l’avoir soutenue que dans la stricte limite de leurs intérêts particuliers. La langue allemande, signe caractéristique, est restée sa langue de prédilection. Elle est parlée dans les intérieurs, et sert à l’éducation des enfans.

Le peuple tchèque en est donc réduit à ne compter que sur lui-même pour défendre les droits historiques de sa patrie. La reconnaissance de ces droits a été la condition de l’union personnelle de la Bohême et de l’Autriche lors du mariage de Ferdinand avec l’héritière de Bohême en 1521, et de son élection par les délégués des États en 1526. La Bohême, comme la Hongrie, n’a jamais cessé, en droit, d’être un royaume distinct, ayant sa constitution, sa Diète, ses lois, et n’obéissant qu’à son roi couronné. Mais la Hongrie, dont l’union remonte à la même date et aux mêmes actes, a vu reconnaître et consacrer ses droits par le compromis de 1867. La Bohême, moins heureuse, attend encore. Le roi n’est pas couronné ; la constitution historique n’est pas observée ; l’existence même, à Vienne, d’un parlement commun à