décor. Un plateau un peu triste, et des vallées sans grandes lignes succèdent aux plaines bavaroises : et les champs sont peuplés de paysans aux vêtemens de couleurs voyantes, dont l’aspect n’a rien d’allemand. C’est le pays slave. Le grand losange dessiné par les montagnes de Bohême, flanqué à l’Est par la Moravie, qui le relie aux nations de la même race, est la patrie des Tchèques, cette avant-garde du monde slave, qui a survécu à la disparition de ses congénères du Nord et du Sud, les Slaves de la Baltique et ceux du Danube. Au Sud comme au Nord, la germanisation a fait son œuvre. Les Tchèques de Bohème restent seuls debout, entourés de trois côtés par les Allemands, mais luttant pour leur race et pour leur langue avec une énergie sans égale. Epieu enfoncé dans la chair allemande, comme on dit en Allemagne. Rocher battu par la mer germanique, disent les Slaves avec plus de justesse. L’histoire de l’assaut furieux qui lui est livré depuis plusieurs siècles est intéressante comme un drame.
Déjà la vague allemande en a emporté plus d’un morceau. La couronne de saint Venceslas, ceinte depuis 1526 par les princes de la maison d’Autriche, réunissait les trois pays de Bohème, Moravie et Silésie. La paix de 1742 a fait passer aux mains de la Prusse la plus grande partie de la Silésie, et la province prussienne qui porte aujourd’hui ce nom ne compte plus que des Allemands et quelques Polonais. En Bohème même et en Moravie, la race allemande s’est emparée de districts entiers. A la suite de la terrible défaite de la Montagne-Blanche en 1619, qui a été pour la Bohême ce que la déroute de Mohacs avait été, un siècle plus tôt, pour la Hongrie, le pays a été mis en coupe réglée au profit des Allemands. Conquête plus terrible que celle des Turcs, car la domination turque, une fois disparue, ne laisse pas de traces, tandis que la domination allemande marque partout son empreinte, et poursuit une œuvre systématique. La noblesse tchèque périt sur l’échafaud, et des Allemands se partagèrent ses dépouilles. Les colons allemands, les marchands allemands, les jésuites allemands, l’administration allemande, purent accomplir sans obstacle, pendant cent cinquante ans, leur œuvre de dénationalisation. La géographie même du pays fut germanisée, et tous les noms de lieux reçurent des formes allemandes qui ont passé dans les habitudes européennes, et qui ont fait trop souvent prendre le change sur la véritable nationalité du pays. A la fin du XVIIIe siècle, la langue tchèque n’était plus parlée que par des paysans, et on pouvait déjà se permettre de calculer le petit nombre de générations qu’il lui faudrait pour disparaître tout à fait, comme avaient autrefois disparu les Slaves de la Saxe et du Brandebourg.