Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/655

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

courte scène intermédiaire, de l’exécution. Adélaïde, seule dans sa chambre à coucher, tourmentée par de « singuliers pressentimens », inquiète de l’obscurité, remuait de vagues pensées en un monologue trop évidemment destiné à prévenir la surprise du spectateur : « Weislingen est-il mort ? Franz est-il mort ? C’était un brave garçon… » On l’aurait crue en proie à quelques remords, on aurait pensé à lady Macbeth, si elle ne s’était brusquement endormie. On entendait alors un appel de la voix de Franz : l’exécuteur de la Sainte-Wehme sortait de sa cachette, sous le lit ; un « Esprit » appelait : « Adélaïde ! » Elle s’éveillait : et la scène du meurtre s’accomplissait, rapide, violente, mélodramatique comme celle du jugement :


ADELAÏDE, réveillée. — Je l’ai vu. Il se débattait dans les affres de la mort ! Il m’appelait ! il m’appelait ! Ses yeux étaient creux et pleins d’amour !… Assassin ! assassin !
L’ASSASSIN. — Ne crie pas ! Tu appelles la Mort. Des esprits vengeurs ferment les oreilles du secours.
ADELAÏDE. — Veux-tu mon or ? mes bijoux ? Prends-les ! mais laisse-moi la vie.
L’ASSASSIN. — Je ne suis pas un voleur. Les ténèbres ont jugé les ténèbres, et tu dois mourir.
ADELAÏDE. — Malheur ! malheur !
L’ASSASSIN. — Sur ta tête ! Si les horribles spectres de ton action ne tournent pas ton regard effrayé vers l’enfer, alors regarde en haut, regarde le vengeur dans le ciel, et prie-le de se contenter du sacrifice que je lui offre.
ADELAÏDE. — Laisse-moi vivre ! Que t’ai-je fait ? Je suis à tes pieds.
L’ASSASSIN, à part. — Une princesse royale ! Quel regard ! quelle voix ! Dans ses bras, moi misérable, je serais un dieu… Si je la trompais ! Puisqu’elle est en mon pouvoir.
ADELAÏDE. — Il semble ému.
L’ASSASSIN. — Adélaïde, tu m’attendris. Veux-tu me promettre ?
ADELAÏDE. — Quoi ?
L’ASSASSIN. — Ce qu’un homme peut demander à une belle femme dans la nuit profonde.
ADELAÏDE, à part. — La mesure est comble. Le vice et la honte, comme des flammes infernales, m’ont enlacée dans des bras diaboliques. J’expie, j’expie ! C’est en vain que j’essaie d’effacer le vice par le vice, la honte par la honte. Le déshonneur le plus affreux ou la mort la plus vile se présentent à mes yeux dans une image d’enfer.
L’ASSASSIN. — Décide-toi.
ADELAÏDE, à part. — Un rayon de délivrance ! (Elle s’approche du lit ; il la suit : elle tire un poignard des colonnes et l’en frappe.)
L’ASSASSIN. — Traîtresse jusqu’à la fin. (Il tombe sur elle et l’étrangle !) Serpent ! (Il lui donne des coups de poignard.) Je saigne aussi. Voici le prix de tes désirs sanguinaires ! Tu n’es pas la première. Dieu, qui l’as faite si belle, ne pouvais-tu la faire bonne ? (Il sort.)


Dans la seconde version, cette scène disparaît : le jugement seul nous renseigne sur le sort d’Adélaïde. Puis, dans la