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dans le domaine social, la nature et la liberté, comme Shakspeare les représentait dans le domaine littéraire, comme le gothique les représentait dans celui de l’art. Il l’a opposé à la tyrannie des institutions établies, qui choquaient ses opinions libertaires, comme il opposait Shakspeare aux règles classiques et les ogives de la cathédrale de Strasbourg aux colonnes de l’architecture antique. Il l’a compris, en un mot, à travers Rousseau. C’est pour cela, et non pour des motifs plus compliqués, et non plus par une intuition prophétique des temps futurs, qu’il le défend, qu’il le justifie, qu’il l’idéalise, qu’il le fait mourir — non pas assisté par un bon pasteur de campagne occupé de nettoyer son âme, mais en murmurant : « Air céleste… Liberté ! Liberté ! » et qu’il conclut : « Homme généreux ! Malheur au siècle qui t’a repoussé !… Malheur à la postérité qui te méconnaîtra !… » En réalité, son Goetz, si l’on veut lui trouver un sens général, est un frère aîné de Carl Moor, le brigand modèle, redresseur des torts des honnêtes gens ; malgré tout l’effort de Goethe pour lui donner une couleur « renaissance », il demeure un homme de la fin du XVIIIe siècle, qui a lu le Contrat social et l’Emile.

Cet effort, — où tant de dramaturges devaient persister sans un succès meilleur et qui ne nous a dotés que du trompe-l’œil baptisé du nom de « couleur locale », — cet effort aboutit le plus souvent à des résultats puérils. Nous lui devons des fragmens épisodiques que Goethe fut d’ailleurs obligé de supprimer plus tard, quand sa pièce dut être jouée au théâtre de Weimar, et qui sont en elles-mêmes de peu d’intérêt. Telles sont les scènes qui se passent au palais épiscopal de Bamberg, où paraissent des personnages qui n’ont avec le drame aucun lien, même indirect, et qui tiennent des propos dont le seul but évident est de nous montrer que l’auteur est au courant des « papotages » de l’époque :


L’ÉVEQUE. — Y a-t-il maintenant beaucoup d’Allemands de la noblesse qui étudient à Bologne.
OLEARIUS. — Des nobles et des bourgeois. Et, soit dit sans vanité, ils s’y font le plus grand honneur. On a coutume de dire à l’Académie, en manière de proverbe : « Studieux comme un gentilhomme allemand. » Car, tandis que les bourgeois s’efforcent, avec un zèle honorable, à compenser par leur savoir leur défaut d’origine, les nobles s’appliquent avec une louable émulation à relever encore leur éclat natif par le mérite le plus éclatant.
L’EVEQUE. — Ah !
LIEBITRAUT. — Qu’on dise que le monde ne s’améliore pas tous les jours ! Studieux comme un gentilhomme allemand ! voilà ce que je n’ai pas entendu de mon temps. Si quelqu’un m’avait prédit cela pendant que j’étais à l’école, je l’aurais traité de menteur. On voit qu’il ne faut jurer de rien.
OLEARIUS. — Oui, ils font l’admiration de toute l’Académie. Quelques-uns