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les trompettes sonnant le réveil des Anglais, puis une grosse caisse figurant les coups de canon, et enfin une « machine à fusillade » indiquée dans la partition pour compléter l’illusion ? Et plus près de nous, pour peindre les sentimens qu’un combat agite dans le cœur d’un homme, — fût-ce un enchanteur, — Wagner n’a-t-il pas fait dire par Klingsor, au commencement du deuxième acte de Parsifal, toutes les phases de la lutte qu’il aperçoit par la fenêtre ! Mais il faut bien avouer qu’aucun de ces essais — sauf le dernier, — n’a été assez heureux pour qu’on puisse raisonnablement attendre quelque chose de leurs recommencemens. La plupart des bruits de la bataille moderne, les sifflemens stridens des balles surtout, excèdent de beaucoup notre puissance d’analyse auditive, et Berlioz a eu beau mettre un coup de canon dans une de ses symphonies, nous devons douter que les « colombes » de l’artillerie enchantent jamais nos oreilles. Ce sont là des bruits, ce ne sont pas des sons.

Mais qu’avons-nous besoin de chercher plus longtemps la forme d’art qui exprimera le côté nouveau, suggestif, du combat moderne, et ne l’a-t-on pas trouvée ? N’est-elle pas dictée par la complexité des sentimens que les âmes contemporaines, moins fermes peut-être mais plus affinées, plus analystes que les autres, ressentiront au milieu du danger ? Dans le combat antique, l’homme était beau ; dans le combat moderne, jusqu’au milieu de ce siècle, il était pittoresque. Aujourd’hui, il n’est ni beau ni pittoresque, mais plus que jamais il est pensant. Ce n’est donc plus à la sculpture, ni à la peinture, mais bien à la littérature et à cette variété de littérature qu’on appelle psychologique, que le combattant ressortira désormais. Dire ses pressentimens, ses craintes, ses souvenirs ; noter ses colères, ses pitiés, ses dégoûts ; saisir ses sympathies obscures pour l’ennemi inconnu que son arme va étendre blême et sanglant ; mettre au jour ses réflexions confuses sur le profit qu’il retirera lui-même de ce meurtre ; peser les motifs déterminans de demeurer ferme au poste : l’amour-propre vis-à-vis de quelques camarades, le désir d’un galon, l’entêtement d’un parti pris, la lassitude d’avoir peur, et ceux de se mettre à l’abri : la sollicitation de la « carcasse, » comme disait Turenne, ou de « mon frère âne, » selon le mot de saint François ; l’idée de la famille, nombreuse là-bas, qui attend le retour ; peindre enfin le combat qui se livre en lui plutôt qu’autour de lui, et qui sera d’autant plus vif qu’on s’étourdira moins et qu’on réfléchira davantage, que les baïonnettes seront moins sanglantes et seront plus « intelligentes », n’est-ce pas la tâche exclusive de l’écrivain ?

Dans tous les pays il s’en acquitte, et le résultat est qu’il