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rouages et les ressorts d’une arquebuse. L’impossibilité de résister aux coups de l’artillerie fait qu’on ne porte plus de cuirasses, le goût du confort, qu’on se recouvre entièrement de vêtemens, et la gloriole, qu’on les veut magnifiques et brodés, hérissés d’appendices et d’affiquets bizarres. C’est fort peu sculptural. Regardez, pour vous en convaincre, les statues de l’arc de triomphe du Carrousel — surtout le sapeur, dont un moulage au musée du Trocadéro nous permet de distinguer tous les détails — ou encore le Tambour de bronze, battant la charge, auprès de la colonne de Raffet, dans le jardin de l’Infante, au Louvre.

D’autre part, si la sculpture est impuissante à rendre l’espace qui est entre les combattans, le paysage, le feu, la fumée, quelles ressources la peinture n’y trouve-t-elle pas ? Ce qu’a été la peinture de batailles dans l’antiquité, nous l’ignorons et ce ne sont pas les descriptions de Pline ou de Pausanias ou un morceau de la mosaïque de la bataille d’Arbelles, qui peuvent nous dire si le combat d’alors prêtait beaucoup à l’interprétation par le pinceau. Mais assurément, il y prêtait moins que le combat moderne. L’union intime de l’homme et de la nature, celle-ci servant à celui-là non pour se promener, mais pour se retrancher ; non de décor, mais de défense ; celui-là n’étant plus pour celle-ci le « bonhomme qui fait bien dans le paysage », mais le héros qui lutte pour garder ce paysage à son pays, voilà le thème pittoresque par excellence ! Et quoi de plus pittoresque aussi que ces uniformes colorés, bigarrés, mille fois plus variés que les vêtemens de guerre des anciens, ces feutres empanachés, ces chabraques, ces buffleteries, ces musiques, tout cet attirail que le sculpteur s’épuiserait en vain à reproduire ? Dans la bataille antique le combattant était plastiquement beau. Dans le combat moderne, il est pittoresque. La peinture de batailles a paru.

La bataille est, d’ailleurs, pour l’artiste une occasion et, si l’on y réfléchit, peut-être la seule où il puisse montrer une masse en mouvement, animée d’un élan unique, vers-un but facile à percevoir. Elle lui permet de variera l’infini tous les mouvemens particuliers des hommes qui composent cette masse, et ainsi de nous donner une des plus grandes jouissances esthétiques : la sensation de la variété dans l’unité. Elle fournit une diversité d’attitudes qu’aucun sujet n’égale, de sentimens qu’aucun événement n’inspire, parce qu’elle ramasse et concentre en un point toutes les manifestations de l’énergie physique ou morale, — et de son contraire. Elle joint le calme au désordre, la souffrance à l’enivrement, l’inquiétude à l’espoir, la mort à la vie. Le geste modéré du chef qui prévoit, ordonne et désigne, s’oppose aux gestes outrés des soldats qui s’entraînent, s’excitent, et, selon