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soldat il reconnaît l’homme, dont Praxitèle ou Agasias lui a fourni le type accompli. C’est le même qu’il a vu courir dans les jeux, lancer le disque ou le javelot, descendre aux bains, s’oindre d’huile et user du strigile. Le vainqueur de Salamine n’est autre que l’athlète du Vatican qui a fini de jouer. Tous ces exercices l’ont préparé à combattre non pas seulement vaillamment, mais noblement ; ne l’ont pas seulement rendu brave, mais l’ont rendu beau. Le sculpteur ne peut rêver un plus beau modèle dans un plus grand sujet.

Que demande-t-il ensuite ? Que la figure à représenter ne soit pas nécessairement déparée par des accessoires inesthétiques. Sous peine de montrer leurs héros désarmés, nos sculpteurs actuels sont obligés de leur faire brandir des fusils à baïonnette où ne manque ni une vis ni une capucine, ou bien un revolver, heureux quand la couleur locale ne réclame pas l’introduction de toute l’horlogerie d’un hotchkiss. Dans l’antiquité, le sculpteur ne voyait pas avec effroi un soldat entrer en armes dans son atelier. Plutôt qu’un embarras, ces armes étaient une parure. Épées celtiques en forme de feuille d’iris, glaives de Mycènes en forme de feuille de saule, haches palstaves des guerriers du nord, khopeshs ou cimeterres égyptiens, lourds scramasaxes des Germains, courts parazones des chefs de Rome, piques sarisses longues de quatorze coudées, ont tous des lignes calmes et continues qui rappellent quelque forme naturelle. Rien de plus simple que l’arc, — une branche qui se détend ; que la flèche, — une baguette qui vole ; la fronde, — un fil replié qui se balance. Le bouclier romain ressemble à la moitié de l’écorce ôtée à un tronc d’arbre. Si la guerre antique met en œuvre des machines, c’est l’exception, en vue d’un siège, et au contraire la règle est le combat à l’épée et au javelot. Ceux-ci, loin de détruire l’harmonie des lignes courbes et changeantes de l’être, la complètent en lui opposant l’antithèse de la ligne droite et immobile de la chose. La panoplie antique n’eût servi à rien dans le combat, que le sculpteur eût dû l’inventer pour l’usage qu’il en faisait.

Ne pouvant, comme le peintre, ordonner des perspectives et creuser des profondeurs, ce qu’il réclame d’un sujet ce n’est pas seulement qu’il soit plastique, c’est aussi qu’il soit simple, clair et puisse se résumer en l’action de deux ou trois figures. Les autres conditions sont pour satisfaire l’œil : celle-ci pour satisfaire l’esprit. Le combat antique y répond merveilleusement, car il se compose non d’une combinaison d’actions dissemblables, mais d’une série de duels. C’est seulement dans les temps modernes que les progrès de la science ont permis de tuer de mille façons différentes et d’appliquer au meurtre en masse