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Rien de plus sculptural en effet que le combat antique. Quelles que soient les exigences de la plastique, il les satisfait. Que demande avant tout le statuaire pour dresser sur un socle ou profiler sur une frise des figures de héros ? Que ces héros offrent non seulement à l’âme de beaux sentimens, mais aux yeux de belles lignes ; et, comme jusqu’ici les costumiers sont demeurés à ce point de vue fort au-dessous du Créateur, et comme celui-ci a fait l’homme nu, le statuaire demande que ces héros soient nus, plutôt qu’ensevelis dans les redingotes de nos orateurs ou juchés dans les hottes de nos généraux. Or le guerrier antique est fort peu vêtu. Le Gaulois ne l’est presque pas, le Germain non plus, et ils chargent la poitrine découverte. Le Dace combat avec une sorte de tunique et de longs pantalons, mais tout cela est un tissu flexible et lâche qui se modèle sur la forme du corps. La catafracte ou cuirasse du cavalier sarmate ne dérobe pas plus la forme de son corps que les écailles celle du corps d’un poisson. Le combattant oriental, sauf le sapeur assyrien, entièrement recouvert d’une cotte de mailles, a les membres à demi nus, et l’on peut s’en rendre compte dès le premier pas qu’on fait dans la salle asiatique du Louvre, en entrant. Le soldat grec pareillement : sa cuirasse ne cache que la poitrine, et encore, loin d’imposer à la vue une forme différente de celle de l’académie, comme le « corset de fer » de nos cuirassiers, elle reproduit les saillans et les creux de la poitrine ; loin de masquer l’homme, elle le révèle. Le chiton descend à peine au milieu des cuisses. Sans doute le Grec a une ou deux jambières, des cnémides, mais qui ne couvrent qu’une partie de la jambe et en se modelant si exactement sur elle qu’on croit voir une pièce de sculpture ou d’anatomie. Son casque cache ses joues comme son crâne, mais ce qui est sculptural en l’homme n’est point la tête, la physionomie, puisque de parti pris la sculpture supprime l’expression des yeux : c’est le torse, les jambes, les bras. Or, chez le Grec, la cuirasse est représentative du torse ; presque toute la jambe et le bras sont nus.

Du légionnaire romain on peut dire la même chose : son torse, bien que cerclé de fer, garde l’aspect de l’académie ; son visage apparaît sous un casque très simple ; ses bras et ses jambes sont nus, l’ocrea ou jambière n’étant qu’une exception à certaines époques et selon certains grades ; et ainsi dans chacun de ses muscles, contracté ou détendu, on lit l’effort ou le plaisir. Le sculpteur connaît de longue date ces lignes qui s’offrent à lui et il sait quel parti en tirer. Il ne se trouve pas, comme s’il avait affaire à un guerrier moderne, en présence d’un pied d’éléphant en basane ou d’un cylindre de drap compliqué d’épaulettes et de galons que l’Apollon ou le Discobole n’ont jamais connus. Sous le