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bienfaisante influence eut pour théâtre la maison des fous à Worcester, un établissement de l’État comprenant mille pensionnaires ? Et tant de femmes qui tiennent entre leurs mains les rouages de l’instruction supérieure, dira-t-on qu’elles n’ont pas été, qu’elles ne sont pas encore au pouvoir ? Mieux vaudrait le reconnaître franchement et s’assurer le concours de toutes leurs pareilles dans ces devoirs publics qu’elles savent si bien remplir. Les législateurs prétendent être tout prêts à leur accorder le suffrage, pourvu qu’une majorité le réclame ; mais ceci équivaut à un refus. Jamais les femmes ne revendiqueront en majorité aucun droit : ce n’est pas ainsi qu’elles ont depuis vingt-cinq ans fait tant de conquêtes, dont l’une des plus considérables est le privilège d’administrer elles-mêmes leurs propres biens. Les femmes en masse sont toujours hésitantes devant les réformes : qu’on se passe donc de l’avis des timides ! Celles qui ne se soucient pas de voter seront libres de s’abstenir.

Ainsi raisonne le sénateur Hoar, plus royaliste que la reine, c’est le cas de le dire. À quoi le docteur Buckley répond assez judicieusement :

« Peut-être avant de modifier la loi qui écarte la femme des affaires publiques, faut-il réfléchir que d’un trait de plume on changera entièrement la nature des relations entre les deux sexes telles qu’elles existent depuis que le monde est monde. La permanence de la famille, d’où résulte la cohésion de la société, dépend de certaines différences admises une fois pour toutes entre le masculin et le féminin : le premier gouverne d’un commun accord. Or le vote est l’expression même du gouvernement. Voter avec intelligence c’est penser et agir au mode impératif. Pour devenir volantes, les filles devront être dressées à penser, sentir et agir dans le même esprit que les garçons. De quel côté s’exercera la contagion de l’exemple ? Est-on autorisé à croire que les femmes subissent moins que les hommes les effets du milieu, qu’admises aux assemblées politiques, elles ne passionneront pas les débats, qu’elles resteront inaccessibles à la corruption ? » Le docteur Buckley ne se permet pas, bien entendu, dans ses remarques aussi respectueuses que modérées, de faire ressortir le côté un peu chimérique des jugemens portés à l’occasion par les femmes de son pays sur la nature masculine en général ; mais j’ai déjà dit, je crois, combien leur ignorance plus ou moins volontaire sous ce rapport est faite pour nous étonner, nous autres Françaises, mieux renseignées apparemment. Il s’ensuit un optimisme qui ravit leurs maris, leurs frères et leurs amis, comme la preuve d’une virginité d’âme à laquelle les Américains tiennent par-dessus