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gouvernemens. Songez à ce qu’eût été le moyen âge sans le clergé ? Il eût été un retour à la barbarie primitive. Au lieu de cela, les hommes de pensée, trouvant des cadres préparés où ils se plaçaient d’eux-mêmes, constituaient une aristocratie intellectuelle, ouverte, solidement liée et non héréditaire, c’est-à-dire la plus parfaite que le monde ait vue, laissant à l’aristocratie temporelle l’office pour lequel elle est faite. Le moyen âge a été l’époque où le monde a été le mieux organisé.

Ce qui eût été à souhaiter c’est que le catholicisme eût été évolutif, qu’il eût pu « s’incorporer intimement le mouvement intellectuel ». Il pouvait le faire. Une religion n’étant jamais condamnée à mort que quand l’humanité trouve un principe moral plus élevé que celui que cette religion a trouvé elle-même, le christianisme ne pouvait jamais être condamné. Il pouvait donc accepter tout ce que l’humanité lui apportait de science nouvelle, et rester toujours en tête de l’humanité en marche. Mais il a eu le tort de se rattacher à la tradition littérale. Penchant funeste, parce qu’il contraignait le catholicisme à l’immobilité. Il le forçait à tenir la science biblique comme vérité éternelle. Il le forçait à se mettre en travers de tout le mouvement de la pensée moderne. Il a été « dépassé ». Ce fut une « décadence mentale ». L’autorité, même morale, du catholicisme, en a été diminuée. La science détourna progressivement l’humanité du catholicisme. C’est ce qui eut lieu dès le XVe siècle.

A partir de ce moment, trois assauts contre l’ancien pouvoir spirituel : le mouvement protestant, le mouvement philosophique le mouvement révolutionnaire. Le protestantisme, après avoir été plus réactionnaire que le catholicisme lui-même, s’avisa d’opposer à l’immobilité catholique l’idée du libre examen. Quand ils eurent trouvé cela, les proies tans avaient cause gagnée, — et aussi perdue. Ils avaient trouvé l’arrêt de mort de leurs adversaires et aussi le leur. Celui de leurs adversaires : car en face d’une religion enchaînée par elle-même et engagée dans son passé comme un terme dans sa gaine, ils dressaient une religion libre, progressive, capable de tout ce que la libre recherche scientifique lui apporterait. Le leur : car, n’y ayant pas de limite au libre examen, ils créaient une religion illimitée, donc indéfinie, donc indéfinissable, qui ne saurait pas, le jour où le libre examen lui apporterait l’athéisme, si l’athéisme fait partie d’elle-même ou non ; une religion qui ne saurait pas où elle s’arrête et jusqu’où elle va ; une religion destinée à s’évanouir dans le cercle indéfini du philosophisme qu’elle a ouvert. Toute la libre pensée étant impliquée dans le libre examen, toute la libre pensée, tout le philosophisme,