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Il sortit sur la loggia, comme dans un rêve. Néanmoins son cerveau gardait une lucidité et une vigilance étranges. Tous ses actes, toutes ses perceptions avaient pour lui l’irréalité d’un rêve et prenaient en même temps une signification aussi profonde que celle d’une allégorie. Il entendait encore derrière lui les rires mal réprimés. Il voyait sur lui et autour de lui la beauté du soir estival. Il savait ce qui allait s’accomplir.

Les rires cessèrent. De nouveau, dans le silence, il perçut les vibrations du pendule et les coups du brisoir sur l’aire lointaine. Un gémissement venu de la maison des vieillards le fit tressaillir : c’était la douleur de celle qui était en travail d’enfant.

« Tout doit s’accomplir ! » pensa-t-il. Et, se retournant, il mit le pied sur le seuil sans vaciller.

Hippolyte gisait sur le divan, recomposée, pâlie, les yeux mi-clos. À l’approche de son amant, elle sourit.

— Viens ! assieds-toi ! murmura-t-elle avec un geste vague.

Il se pencha vers elle et vit entre ses cils l’humidité des larmes. Il s’assit.

— Tu souffres ? demanda-t-il.

— Je sens un peu de suffocation. J’ai un poids ici, comme une boule qui monte et descend…

Et elle indiqua le milieu de la poitrine. Il dit :

— On étouffe dans cette chambre. Tu devrais faire un effort pour te lever, pour sortir. L’air te ferait du bien. La nuit est magnifique. Allons, viens !

Il se leva et lui tendit les mains. Elle offrit les siennes et se laissa attirer. Mise debout, elle secoua la tête pour rejeter en arrière ses cheveux encore dénoués. Puis elle se pencha pour chercher sur le divan ses épingles perdues.

— Où peuvent-elles être ?

— Qu’est-ce que tu cherches ?

— Mes épingles.

— Laisse donc ! Tu les retrouveras demain.

— Mais j’en ai besoin pour rattacher mes cheveux.

— Laisse tes cheveux dénoués. Tu me plais ainsi.

Elle sourit. Ils sortirent sur la loggia. Elle tourna le visage vers les étoiles et respira le parfum de la nuit d’été.

— Tu vois comme la nuit est belle ! dit George, d’une voix rauque mais douce.

— On bat le lin, dit Hippolyte, l’oreille tendue au rythme continuel.

— Descendons, dit George. Promenons-nous un peu. Poussons là-bas, jusqu’aux oliviers.