Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/534

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle lui avait de nouveau passé ses bras nus autour du cou, languissante, prise de désir.

— Restons ici. Viens t’étendre avec moi sur le divan. Viens !

Elle essayait de l’enjôler, de l’entraîner, envahie d’un désir d’autant plus âpre qu’il lui opposait plus de résistance. Elle était toute ardente et toute belle. Sa beauté s’était allumée comme un flambeau. Son long corps serpentin vibrait à travers la finesse de la robe. Ses grands yeux sombres répandaient le charme fascinateur des heures suprêmes de passion. Elle était la luxure souveraine.

— Non, non, je ne veux pas ! déclara George en lui saisissant les poignets avec une résolution presque brutale qu’il ne sut pas modérer.

— Ah ! tu ne veux pas ? répliqua-t-elle, moqueuse, amusée par la lutte, sûre de vaincre, incapable de renoncer en ce moment à son caprice.

Il regretta sa brusquerie. Pour réussir à l’attirer dans le guet-apens, il devait se montrer doux et câlin, simuler l’ardeur et la tendresse. Ensuite, il la déciderait certainement à la promenade nocturne, à la dernière promenade. Mais, d’autre part, il sentait aussi l’absolue nécessité de ne pas perdre dans l’embrassement cette énergie nerveuse momentanée qui lui était indispensable pour l’action prochaine.

— Ah ! tu ne veux pas ? répéta-t-elle en se réenlaçant à lui, en lui fixant de très près les yeux dans les yeux avec une sorte de fureur contenue.

Et toute la lasciveté féline de l’Ennemie se déploya de nouveau. Elle dénoua ses cheveux, relâcha ses vêtemens. Elle semblait savoir qu’il lui fallait désarmer cet homme, l’énerver et le briser, pour l’empêcher de nuire

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Tout à coup, elle fut prise d’un rire nerveux, frénétique et incoercible, lugubre comme le rire d’une démente.

Effrayé, il la regardait avec une horreur manifeste ; il pensait : « Est-ce la folie ? »

Elle riait, riait, riait, se tordant, se cachant le visage dans les mains, se mordant les doigts, se comprimant les flancs ; elle riait, elle riait malgré elle, secouée de longs hoquets sonores.

Par intervalles elle s’arrêtait une seconde ; puis elle recommençait avec une violence nouvelle. Et rien n’était plus lugubre que ces rires fous dans le silence de cette nuit profonde.

— N’aie pas peur ! n’aie pas peur ! disait-elle pendant les pauses, à la vue de son amant perplexe et épouvanté. Je me calme. Va-t’en, va dehors. Je t’en prie !