sous l’obsession, il réentendit les syllabes lentes et limpides : « Par peur de mon amour ! »
Un crépitement sourd mêlé de coups distincts arriva encore de la ville en fête. C’était une reprise du feu d’artifice. Hippolyte se retourna vers ce spectacle.
— Regarde ! On dirait qu’Ortone s’embrase.
Une vaste rougeur se dilatait dans le ciel, se reflétait dans les eaux ; et, au milieu de la rougeur, se dessinait le profil de la ville incendiée. Les fusées jaillissaient avec des fulgurations incessantes ; les bombes éclataient en larges roses de splendeurs.
« Passerai-je encore cette nuit ? se demandait George à lui-même. Recommencerai-je à vivre demain ? Jusques à quand ? » Un dégoût aussi amer qu’une nausée, une haine presque sauvage montait des racines de son être, à la pensée que la nuit prochaine il aurait encore cette femme auprès de lui sur le même oreiller, qu’il entendrait encore dans son insomnie la respiration de la dormeuse, qu’il sentirait encore l’odeur et le contact de cette peau échauffée, qu’il succomberait encore au désir, et puis que le jour se lèverait de nouveau et s’écoulerait dans l’habituelle oisiveté parmi la torture des alternatives perpétuelles…
Un éclat de lumière le frappa, rappela son regard vers le spectacle extérieur. Une vaste rose de clarté lunaire s’épanouissait sur la ville en fête et, là-bas, sur le rivage, illuminait à perte de vue la succession des petites baies échancrées et des pointes en saillie. Le cap du More, la Nicchiola, le Trabocco, les récifs proches ou lointains jusqu’à la Pointe du Vaste apparurent quelques secondes dans l’immense irradiation.
« Le promontoire ! » suggéra soudain à George Aurispa une voix secrète, tandis que son regard se portait sur la hauteur couronnée par les oliviers tordus.
La lumière blanche s’éteignit. Dans le silence, George perçut de nouveau les oscillations du pendule et les coups rythmiques du brisoir. Mais, maintenant, il était maître de son angoisse ; il se sentait plus fort et plus lucide.
— Veux-tu sortir un peu ? demanda-t-il à Hippolyte, d’une voix à peine altérée. Nous irons dans un endroit découvert ; nous nous étendrons sur l’herbe, nous prendrons le frais. Vois ! la nuit est presque aussi claire qu’une nuit de pleine lune.
— Non, non, restons ici ! répondit-elle avec nonchalance.
— Il n’est pas tard. Tu as déjà sommeil ? Je ne peux pas, tu sais, me mettre au lit de trop bonne heure : je ne dors pas, je souffre… Je ferais volontiers une petite promenade. Allons, ne sois pas paresseuse ! Tu peux venir comme tu es, sans dérangement.
— Non, non, restons ici !