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mort ? George, comme Tristan lorsqu’il avait entendu l’antique mélodie modulée par le pâtre, trouvait dans cette musique la révélation directe d’une angoisse où il croyait surprendre enfin l’essence vraie de son âme et le secret tragique de son destin. Nul homme mieux que lui ne pouvait pénétrer le sens symbolique et mythique du philtre, et nul homme mieux que lui ne pouvait mesurer la profondeur du drame intérieur, uniquement intérieur, où le héros pensif avait consumé ses forces. Nul non plus ne pouvait mieux comprendre le cri désespéré de la victime : « Ce terrible philtre qui me condamne au supplice, c’est moi, moi-même qui l’ai composé. »

Il entreprit alors sur sa maîtresse une œuvre de séduction funèbre. Il voulait la décider lentement à mourir ; il voulait l’attirer avec lui vers une fin mystérieuse et douce, en ce pur été de l’Adriatique plein de transparences et de parfums. La grande phrase d’amour, — qui se déployait en un si large cercle de lumière autour de la transfiguration d’Yseult — avait enfermé Hippolyte dans son sortilège. Elle la répétait sans cesse à voix basse, quelquefois même à haute voix, avec des signes de jubilation débordante.

— Ne voudrais-tu point mourir de la mort d’Yseult ? lui demanda George souriant.

— Je le voudrais, répondit-elle. Mais, sur terre, on ne meurt pas de cette façon.

— Et si je mourais, moi ? reprit-il, souriant toujours. Si tu me voyais mort, en réalité, non en rêve ?

— Je crois que je mourrais aussi, mais de désespoir.

— Et si je te proposais de mourir avec moi, en même temps, de la même manière ?

Pendant quelques secondes, elle resta songeuse, les yeux baissés. Puis, relevant vers le tentateur un regard chargé de toute la douceur de la vie :

— Pourquoi mourir, dit-elle, si je t’aime, si tu m’aimes, si rien désormais ne nous empêche de vivre en nous seuls ?

— La vie te plaît ! murmura-t-il avec une amertume voilée.

— Oui, affirma-t-elle avec une sorte de véhémence, la vie me plaît parce que tu me plais.

— Et si je mourais ? répéta-t-il sans sourire, parce qu’il sentait, une fois encore, monter en lui l’hostilité instinctive contre la belle créature luxurieuse qui respirait l’air comme une joie.

— Tu ne mourras point, affirma-t-elle avec la même assurance. Tu es jeune, pourquoi devrais-tu mourir ?

Dans la voix, dans l’attitude, dans toute la personne, elle avait une insolite diffusion de bien-être. Son aspect était celui que les