Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/504

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La créature impure qui gisait maintenant sur le lit luxurieux s’était interposée. La terrible corruptrice était, non pas seulement l’obstacle à la vie, mais aussi l’obstacle à la mort : à cette mort. Elle était l’Ennemie de l’une et de l’autre.

Et George, en pensée, retourna vers la montagne, regagna la vieille maison, rentra dans les chambres désertes. Comme en ce jour de mai, il franchit le seuil tragique. Et, comme en ce jour il sentit sur sa volonté l’obscure obsession. Le cinquième anniversaire était proche. De quelle manière le célébrerait-il ?

Un cri soudain d’Hippolyte lui donna un violent sursaut. Il se dressa, il accourut.

— Qu’as-tu ?

Assise sur le lit, épouvantée, elle se passait les mains sur le front et sur les paupières, comme pour en écarter quelque chose qui la tourmentait. Elle fixa sur son amant de grands yeux hagards. Puis, d’un geste brusque, elle lui jeta les bras autour du cou, lui couvrit le visage de baisers et de larmes.

— Mais qu’as-tu ? Qu’as-tu ? demandait-il, étonné, inquiet.

— Rien, rien…

— Pourquoi pleures-tu ?

— J’ai rêvé…

— Qu’as-tu rêvé ? Dis-moi.

Au lieu de répondre, elle l’étreignit, le baisa encore.

Il lui prit les poignets, se dégagea de l’étreinte, voulut la regarder au visage.

— Dis-moi, dis-moi, qu’as-tu rêvé ?

— Rien… Un vilain rêve…

— Quel rêve ?

Elle se défendait contre cette insistance. En lui, le trouble croissait avec le désir de savoir.

— Dis donc !

Toute secouée de nouveau par le frisson, elle balbutia :

— J’ai rêvé… que j’écartais le linceul… et c’était toi que je voyais…

Elle étouffa le dernier mot dans les baisers.


V

Choisi par un ami et pris en location à Ancône, expédié à San Vito, transporté non sans peine jusqu’à l’Ermitage, le piano fut accueilli par Hippolyte avec une allégresse enfantine. On l’installa dans la chambre que George appelait la bibliothèque, dans la chambre la plus vaste et la mieux décorée, là où étaient le divan