Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/501

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle se leva. Elle regarda encore le petit visage livide du mort, avec une intensité terrible. Elle appela encore une fois de toute la force de ses poumons :

— Mon fils ! mon fils ! mon fils !

Puis, de ses propres mains, elle recouvrit avec le drap la dépouille sourde.

Et les femmes l’entourèrent, l’entraînèrent un peu plus loin à l’ombre d’un rocher, la forcèrent de s’asseoir, gémirent avec elle.

Peu à peu les spectateurs se débandaient, se dispersaient. Il ne resta plus que quelques consolatrices, avec l’homme vêtu de lin, le gardien impassible qui attendait la justice. Le soleil caniculaire frappait la grève, donnait au drap funèbre une blancheur hallucinante. Le promontoire dressait dans l’embrasement son aridité désolée, à pic sur les récifs anfractueux. La mer, immense et verte, avait une respiration toujours égale. Et il semblait que l’heure lente ne dût jamais finir.

À l’ombre de la roche, en face du drap blanc soulevé par la forme rigide du cadavre, la mère continuait sa monodie sur le rythme rendu sacré par les douleurs anciennes et récentes de sa race. Et il semblait que sa lamentation ne dût jamais finir.


IV

Au retour de la chapelle du Port, Hippolyte avait su l’accident. Accompagnée d’Hélène, elle avait voulu rejoindre George sur la plage. Mais, en approchant du lieu tragique, à la vue du drap qui faisait une blancheur sur la grève, elle avait senti ses forces défaillir. Saisie d’une crise de larmes, elle était revenue sur ses pas, était rentrée à la maison, avait attendu George en pleurant.

Elle s’apitoyait moins sur le petit mort que sur elle-même, hantée par le souvenir du péril qu’elle avait couru l’autre jour au bain. Et une répulsion instinctive, indomptable, surgissait en elle contre cette mer.

— Je ne veux plus me baigner dans la mer, je ne veux plus que tu t’y baignes, enjoignit-elle à George presque durement, sur un ton qui exprimait une résolution ferme et inébranlable. Je ne veux pas, entends-tu ?

Ils passèrent le reste de ce dimanche dans une inquiétude anxieuse, s’accoudant sans cesse à la loggia pour regarder la tache blanche, là-bas, sur la rive. George gardait dans les yeux l’image du cadavre, accusée par un relief si énergique qu’elle lui paraissait